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et madame de charrière.

et aux Barnave plutôt qu’aux Sartine et aux Breteuil… Je serais bien aise de revoir Paris, et je me repens fort, quand j’y pense, d’avoir fait un si sot usage, quand j’y étais, de mon temps, de mon argent et de ma santé. J’étais, n’en déplaise à vos bontés, un sot personnage alors avec mes… et mes… etc., etc. (Il indique deux ou trois noms de femmes) Je suis peut-être aussi sot à présent, mais au moins je ne me pique plus de veiller, de jouer, de me ruiner, et d’être malade le jour des excès sans plaisir de la nuit. Si une fois le hasard pouvait nous réunir à l’hôtel de la Chine, dût Schabaham[1], qui est au fond une bonne femme, et madame Suard, qui est plus ridicule et n’est pas si bonne, nous ennuyer quelquefois !... Ma lettre est une assez plate et décousue lettre, mais mon esprit n’est pas moins plat ni moins décousu. La vie que je mène m’abrutit. Je deviens d’une paresse inconcevable, et c’est à force de paresse que je passe d’une idée à l’autre. Je voudrais pouvoir me donner l’activité de Voltaire. Si j’avais à choisir entre elle et son génie, je choisirais la première. Peut-être y parviendrai-je quand je n’aurai plus ni procès ni inquiétudes. Au reste, je m’accroche aux circonstances pour justifier mes défauts. Quand on est actif, on l’est dans tous les états, et, quand on est aussi paresseux et décousu que je suis, on l’est aussi dans tous les états. Adieu. Répondez-moi une bonne longue lettre. Envoyez-moi du nectar, je vous envoie de la poussière, mais c’est tout ce que j’ai. Je suis tout poussière. Comme il faut finir par là, autant vaut-il commencer aussi par là. »


Il revient à tout moment sur cette idée du néant des efforts et de la volonté ; il répète de cent façons qu’il n’existe plus. Il y a des jours (comme dans la lettre précédente) où il le dit avec tant d’esprit et d’antithèses, que madame de Charrière a raison de lui répondre qu’elle n’en

  1. Madame Saurin, à laquelle ils avaient donne ce sobriquet.