Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/329

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Je faisais pourtant ces vers dans l’espoir que vous m’en parleriez. Enfin j’ai pu me donner un musicien, un compositeur, bon artiste, mais froid. C’est ce qu’il me faut, non pas pour m’amuser, mais pour faire de la très bonne musique ; car un grand génie musicien ferait sa propre musique et non pas les remplissages qu’il faut à la mienne. Oh ! la drôle de chose que la prévention, que les noms et leur pouvoir ! Votre cousine n’approuve que ce qui vient d’un ini, d’un ici, d’un iti. Un petit air de chalumeau que j’avais fait pour Polyphème et son rocher était charmant, vraiment charmant. Zingarelli, qui alors avait besoin d’argent et voulait faire quelque chose que je payasse et ne sentait rien, l’a un peu gâté ; c’est comme cela, gâté et devenu commun, que votre cousine l’a trouvé bon, etc. Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! Et vous éprouvez les mêmes choses ou des choses semblables, on ne vous entend, ni ne vous répond, ni ne vous aide, ni ne vous encourage. Vous avez moins besoin que moi de secours ; vous savez mieux que vous savez, et n’avez pas comme moi ces moments où je ne sais pas seulement si j’ai le sens commun ; mais encore faudrait-il être connu et entendu. Si j’avais osé penser et dire : Il ne faut pas vous fixer loin de moi et en me comptant pour rien, car je vous suis nécessaire ; comme on eût crié à la présomption, à la folie, surtout à l’égoïsme ! Quoi ! vous voudriez sacrifier un jeune homme, son établissement, sa fortune, sa gloire, à vous, au plaisir de le voir ! La bonne mademoiselle Louise dit quelquefois : Pour être comme vous étiez ici avec M. Constant, il fallait précisément qu’il fût malade : sans cela il se serait bien vite ennuyé, il aurait couru tous les jours à Neuchâtel, et je m’humilie à dire : Cela est vrai. On ne veut pas seulement que quelqu’un s’imagine qu’il pouvait être aimé et heureux, nécessaire et suffisant à un seul de ses semblables. Cette ilusion douce et innocente, on a toujours soin de la prévenir ou de la détruire. Je vous écrirai bien-