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NOTICE.

sur le théâtre, elle avait joué dans the Fair Penitent le rôle dont le nom lui est resté ; sa réputation première avait été équivoque. Grâces, talents, âme céleste, fortune même, tant de perfections ne purent fléchir un père ni obtenir à son fils le consentement pour l’union. Cette histoire toute romanesque a dans le détail une couleur bien anglaise, quelque chose de ce qu’Oswald, plus tard, reproduira un peu moins simplement à l’égard de Corinne ; et cette première Corinne, remarquez-le, esquisse ingénue de la seconde, a elle-même longtemps vécu en Italie. Après bien des souffrances et des vicissitudes, Caliste, mariée à un autre, pure et dévorée, meurt ; elle meurt, comme cet empereur voulait mourir, au milieu des musiques sacrées ; génie des beaux-arts et de la tendresse, elle exhale à Dieu sa belle âme, en faisant exécuter le Messiah de Haendel et le Stabat de Pergolèse. Celui qu’elle aimait reçoit la nouvelle funeste pendant qu’il est encore à Lausanne ; si on ne l’entourait en ces moments, son désespoir le porterait à des extrémités. Cependant son pupille, le jeune Lord, ne s’est toujours pas déclaré ; Cécile et sa mère partent pour voir leur parente du Languedoc.

Ce roman a l’air de ne pas finir ; il finit pourtant. La conclusion, la moralité, faut-il le dire ? c’est qu’au moment où, à côté de nous, un ami éploré et repentant s’accuse d’avoir brisé un cœur et se tuerait par désespoir d’avoir laissé mourir, vous-même, jeune homme, qui le plaignez et le blâmez peut-être, vous recommencez la même faute ; vous en traitez un à la légère aussi en vous disant : C’est bien différent ! et les conséquences, si vous n’y prenez garde bien vite, viendront trop tard et terribles aussi, pour peu que nous ayez un cœur. Et même quand elles sembleraient ne pas venir et quand on ne mourrait pas, n’est-ce donc rien que de faire souffrir ? N’est-ce rien, enfin, que de méconnaître et de perdre le