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NOTICE.

des intérieurs d’hommes, sans parler du sien, et qui n’a compris ? En littérature, c’est pire : l’esprit seul désormais y fait loi. Intrigue, piraterie, vanité sans frein, vénale cupidité ! oh ! si, dans tous ces gens d’esprit à foison, il y avait au cœur un endroit sain, une once, un grain d’honnêteté, un seul dans chacun, que ce serait beaucoup ! En ces moments de dissolution de doctrines et de cohue universelle, à tout prix il importe d’avoir au dedans de soi, dans son caractère, dans sa conduite, des points invincibles et inexpugnables, fussent-ils isolés et sans rapport avec le reste de nous-même ; — oui, des espèces de rochers de Malte ou de Gibraltar où l’on se rabatte en désespoir de cause et où l’on maintienne le drapeau. Ou, pour parler moins haut et plus à l’unisson de la nature, en fait de morale, je suis comme madame de Charrière ; il me suffit qu’il y ait quelque chose dans quelqu’un[1].

Madame de Charrière eut, ce semble, une vieillesse assez triste et qui renfermait stoïquement sa plainte. Ame forte et fière, comme on l’a pu voir par un fragment de lettre, cité au commencement, et qui se rapporte à sa fin, elle s’était faite aux nécessités diverses de la société ou de la nature. Elle s’appliquait tout bas ce qu’elle a rendu avec (l) Comme corollaire à ceci, j’ai besoin d’ajouter un point tout (l’expérience, un précepte également contraire au tout ou rien d’une morale inaccessible. L’indulgence qu’on a pour les autres, on ne doit point sans doute la porter à l’égard de soi-même : il faut autant que possible ne se rien passer. Mais, enfin, c’est une règle bien essentielle dans la conduite, de ne jamais tirer raison d’une première faute pour en commettre une nouvelle, comme un désespéré qui le sait et qui s’abandonne. Quelqu’un voyait madame de Montespan fort exacte au rigueurs du carême et paraissait s’en étonner : « Parce qu’on commet une faute, faut-il donc les commettre toutes ? » dit-elle. Je ne m’empare que du mot. Hier, vous méditiez une vie pure, dévouée, honorée de toutes les vertus. semant de chaque main les bienfaits. Ce matin, parce qu’un tort, une souillure grave a, depuis hier, obscurci votre vie, à l’heure du

  1. Comme corollaire à ceci, j’ai besoin d’ajouter un point tout d’expérience, un précepte également contraire au tout ou rien d’une morale inaccessible. L’indulgence qu’on a pour les autres, on ne doit point sans doute la porter à l’égard de soi-même : il faut autant que possible ne se rien passer. Mais, enfin, c’est une règle bien essentielle dans la conduite, de ne jamais tirer raison d’une première faute pour en commettre une nouvelle, comme un désespéré qui le sait et qui s’abandonne. Quelqu’un voyait madame de Montespan fort exacte au rigueurs du carême et paraissait s’en étonner : « Parce qu’on commet une faute, faut-il donc les commettre toutes ? » dit-elle. Je ne m’empare que du mot. Hier, vous méditiez une vie pure, dévouée, honorée de toutes les vertus. semant de chaque main les bienfaits. Ce matin, parce qu’un tort, une souillure grave a, depuis hier, obscurci votre vie, à l’heure du