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LETTRES

présentants, et ce serait un troisième ordre dans la nation ; celui-ci ne serait pas héréditaire. Chacun des trois aurait certaines distinctions et le soin de certaines choses, outre les charges qu’on donnerait aux individus indistinctement avec le reste de mes sujets. On choisirait dans les trois classes des députés qui, réunis, seraient le conseil de la nation : ils habiteraient la capitale. Je les consulterais sur tout. Ces conseillers seraient à vie : ils auraient tous le pas devant le corps de la noblesse. Chacun d’eux se nommerait un successeur, qui ne pourrait être un fils, un gendre, ni un neveu ; mais cette nomination aurait besoin d’être examinée et confirmée par le souverain et par le conseil. Leurs enfants entreraient de droit dans la classe noble. Les familles qui viendraient à s’éteindre se trouveraient ainsi remplacées. Tout homme, en se mariant, entrerait dans la classe de sa femme, et ses enfants en seraient comme lui. Cette disposition aurait trois motifs. D’abord les enfants sont encore plus certainement de la femme que du mari. En second lieu, la première éducation, les préjugés, on les tient plus de sa mère que de son père. En troisième lieu, je croirais, par cet arrangement, augmenter l’émulation chez les hommes, et faciliter le mariage pour les filles qu’on peut supposer les mieux élevées et les moins riches des filles épousables d’un pays. Vous voyez bien que, dans ce superbe arrangement politique, ma Cécile n’est pas oubliée. Je suis partie d’elle, je reviens à elle. Je la suppose appartenant à la première classe : belle, bien élevée et bonne comme elle est, je vois à ses pieds tous les jeunes hommes de sa propre classe, qui ne voudraient pas déchoir, et ceux d’une classe inférieure, qui auraient l’ambition de s’élever. Réellement, il n’y aurait que cet ennoblissement qui pût me plaire. Je hais tous les autres, parce qu’un souverain ne peut donner avec des titres ce préjugé de noblesse, ce sentiment de noblesse qui me paraît être l’unique avan-