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DE LAUSANNE.

hors la faveur de venir quelquefois ici apprendre un peu de français, je ne demanderai rien avec importunité. — Je regardai Cécile ; elle avait les yeux fixés sur moi. Je vis bien qu’il fallait refuser ; mais, en vérité, je souffris presque autant que je faisais souffrir. Le gouverneur démêla mes motifs, et arrêta les instances du jeune homme, qui est venu ce matin me dire que, n’ayant pu m’engager à le recevoir chez moi, il s’était logé le plus près de nous qu’il avait pu, et qu’il me demandait la permission de nous venir voir quelquefois. Je l’ai accordée. Il s’en allait. Après l’avoir conduit jusqu’à la porte, Cécile est venue m’embrasser. Vous me remerciez, lui ai-je dit. Elle a rougi : je l’ai tendrement embrassée. Des larmes ont coulé de mes yeux ; elle les a vues, et je suis sûre qu’elle y a lu une exhortation à être sage et prudente, plus persuasive que n’aurait été le plus éloquent discours. Voilà mon beau-frère et sa femme ; je suis forcée de m’interrompre.

Tout se dit, tout se fait ici en un instant. Mon beau-frère a appris que j’avais refusé de louer à un prix fort haut un appartement qui ne me sert à rien. C’est le tuteur de ma fille. Il loue à des étrangers des appartements chez lui, quelquefois même toute sa maison. Alors il va à la campagne, ou il y reste. Il m’a donc trouvée très extraordinaire, et m’a beaucoup blâmée. J’ai dit pour toute raison que je n’avais pas jugé à propos de louer. Cette manière de répondre lui a paru d’une hauteur insupportable. Il commençait tout de bon à se fâcher, quand Cécile a dit que j’avais sans doute des raisons que je ne voulais pas dire ; qu’il fallait les croire bonnes, et ne me pas presser davantage. Je l’ai embrassée pour la remercier : les larmes lui sont venues aux yeux à son tour. Mon beau-frère et ma belle-sœur se sont retirés sans savoir qu’imaginer de la mère ni de la fille. Je serai blâmée de toute la ville. Je n’aurai pour moi que Cécile, et peut-