Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et je trouve bon qu’elle vive avec tous, à la manière de tous, et qu’elle soit chère à tous[1]. En France, je ferais comme on fait en France : ici, vous feriez comme moi. Ah ! Mon dieu, qu’une petite personne fière et dédaigneuse qui mesure son abord, son ton, sa révérence sur le relief qui accompagne les gens qu’elle rencontre, me paraît odieuse et ridicule ! Cette humble vanité, qui consiste à avoir si grande peur de se compromettre, qu’il semble qu’on avoue qu’un rien suffirait pour nous faire déchoir de notre rang, n’est pas rare dans nos petites villes, et j’en ai assez vu pour m’en bien dégoûter[2].


DOUZIÈME LETTRE


Si vous ne me pressiez pas avec tant de bonté et d’instance de continuer mes lettres, j’hésiterais beaucoup aujourd’hui. Jusqu’ici j’avais du plaisir, et je me reposais en les écrivant. Aujourd’hui je crains que ce ne soit le contraire. D’ailleurs, pour faire une narration bien exacte, il faudrait une lettre que je ne pourrais écrire de tête… ah ! La voilà dans un coin de mon secrétaire. Cécile, qui est sortie, aura eu peur sans doute qu’elle ne tombât de ses poches. Je pourrai la copier, car je n’oserais vous l’envoyer. Peut-être voudra-t-elle un jour la relire. Cette

  1. A Lausanne, il y a des quartiers où le beau monde ne se loge pas.
  2. Quelques personnes ont trouvé mauvais que ces Lettres ne donnassent pas une idée exacte des mœurs des gens les plus distingués de Lausanne ; mais, outre que madame de *** n’était pas une étrangère qui dût regarder ces mœurs comme un objet d’observation, en quoi pouvaient-elles intéresser sa cousine ? Les gens de la première classe se ressemblent partout ; et, si elle eût dit quelque chose qui fût particulier à ceux de Lausanne, nous pardonnerait-on de le publier ? Quand on ne loue qu’autant qu’on le doit, on flatte peu, et même souvent on offense.