Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/63

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LXXI.


Comme d’un grand thresor la royale richesse
Quant elle tombe aus mains d'un mauvais mesnager
Qui pert tout, qui vend tout, et veut tout engager
S'ecoule en un moment, se dissipe, & s'abaisse :

Mais un peu de moyen gouverné par l'adresse
D'un homme diligent, qui tardif a pleiger,
Et prompt a s'acquiter, ne se veut obliger
S'augmente & multiplie, & redouble sans cesse :

Ainsi nostre àge est long, si nous en usons bien
Si nous en abusons il ne nous dure rien
Coulant sans y penser, comme l'ombre d'un songe

Il ne seroit pas court si nous ne le coupions
Nous aurions assez tems si nous ne le perdions,
Nostre mauvais mesnage en tell'erreur nous plonge.


LXXII.


Vous vivez tout ainsi que si resolu'ment
Vous deviez tousjours vivre, & vostre bon mesnage
Jamais devant les yeus ne vous remet l'image
Du tems court & soudain qui passe en un moment

Mais vous en despensez & perdez follement
Comme en ayant à vendre, & lasches de courages
Craignant, comme mortels, vous convoitez peu sages,
Comme si vous deviez vivre eternellement :

Et prodiguant le tems, duquel seul l'avarice
Est honneste & louable, offusquez de malice
Vous vous monstrez eschars à garder vos moyens,

La richesse perdue est un jour reparable,
L'àge en vain consumé n'est jamais revocable,
Les biens servent au tems, non pas le tems aus biens.