Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/74

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XCIII.


Creon voyant brusler sa fille miserable
D'un embrassement dous la voulut secourir
Mais helas ! il se fit avec elle mourir,
Espreuvant à son dam son aide dommageable.

Plustost tu te fondras en plaintes lamentable
Que tu puisse empescher les hommes de courir
Au terme de la vie, & la mort de ferir
Le prince, & le berger d'une flesche semblable

Il n'est rien de si fort que la necessité,
Qui trainant apres soy de toute eternité
Les choses de ce monde, à la mort donne place.

Croy moy, fais, si tu veus vivre tranquillement
Que la necessité volontaire se face
Celui qui vit forcé, vit miserablement.


XCIIII.


Souvent nous espreuvons que le medicament
Trop leger pour le mal, plustost en nous augmente
Qu'il ne boute dehors la froide humeur peccante,
Troublant du cors esmeu le bon temperament :

Ainsi nous recevons du sage enseignement
Des hommes mieus appris plus de perte nuisante,
Que non pas de proffit, tant nostre ame dolente
Redoute de Cloton le froid embrassement.

Il faut, pour bien mourir, sois-mesme se connoistre,
Trespasser en soy-mesme, en soy-mesme renaistre,
Exercant en travaus nos cors encoüardis

Autrement s'en est fait, l'attente en est frivole
De penser estre tel seulement par parole,
Des hommes plus couars, les propos sont hardis.