Page:Chasteau - La legende de Duccio et d Orsette.pdf/13

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elle entrait, Madame Lucrèce se souvint qu’elle était mère. Elle songea que, dans le château des Guidi, Duccio recevrait maints exemples d’orgueil, de cupidité, de luxure, et que cet agneau si tendre serait exposé aux loups dévorants. Alors, prenant la main de son fils dans les siennes, et comme inspirée d’en haut, elle dit :

« Ô très saint frère François, je te donne cet orphelin pour qu’il porte ton saint habit et demeure en ta sainte maison de la Verne. Garde-le, défends-le du Malin, et conduis-le, tel le berger son ouaille, sur le chemin de la vie parfaite. »

Ayant ainsi parlé, elle inclina la tête et rendit l’esprit.

Personne ne douta qu’elle n’eût vu saint François, dans cette minute suprême, et le comte Guido déclara que sa volonté serait accomplie. Il fit enterrer la pieuse dame, solennellement, à Saint-Fidèle, où les Guidi ont leur sépulture, et, dès le lendemain des funérailles, il conduisit son petit neveu à la Verne.

Ce fut une pénible chevauchée sous la pluie d’automne. L’enfant, en croupe du comte, tournait peureusement la tête vers le val d’Arno qui s’enfonçait derrière lui, avec le fleuve, les oliviers, les vignes et les forteresses corsetées de remparts. Enfin, après bien des tours et détours, à travers des bois ou des branches désertes, le fer des chevaux sonna sur le roc nu. L’austère couvent se dessina, gris comme la pierre grise qui le portait, parmi les sapins noirs et les hêtres. Tout ce sommet de la Verne était un bastion naturel, affreusement crevassé de précipices. Duccio se rappela les récits de sa mère, et pourquoi la montagne s’était fendue dans sa hauteur colossale, à l’heure même que Jésus expirait sur la croix. Glacé, tremblant, il étreignit la taille de son oncle et baissa le front pour pleurer. Mais un son de cloche tomba de la cime effrayante ; une voix, qui parlait dans le vent, murmura : « Duccio », et l’enfant sentit une caresse sur ses cheveux. Il comprit que le vœu de sa mère était exaucé, et que saint François, invisible et présent, accueillait le petit agneau de Dieu dans la bergerie.


III

Les Frères mineurs de la Verne n’étaient pas très nombreux et leur couvent, qui remplaçait les cabanes primitives faites de terre et de bran chages, était véritablement la demeure élue par la noble Dame Pauvreté. Cependant, ils vivaient dans une joie innocente, parce que l’esprit de saint François était en eux. Ils consentirent à se charger d’un enfant, comme ils l’eussent fait d’un oiseau, sans lui imposer aucun autre devoir que d’être allègre et de louer le Créateur de toutes choses. Et l’héritage du fils de Lucrèce demeura aux mains du comte Guido.

À seize ans, Duccio prit l’habit de novice. Il était alors un très bel adolescent, brun comme la châtaigne et vigoureux de tout son corps que la discipline monastique et le dur climat avaient fortifié. Les souvenirs de son enfance étaient morts en lui. De tout le passé, il n’avait retenu que le doux visage de sa mère et la chambre de Poppi, peinte de feuillages et d’animaux. Le Père abbé voulut lui apprendre à lire, mais il fut un écolier médiocre, à cause de sa grande force corporelle et de