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heures innocentes de sa jeunesse, lorsqu’il portait la robe noire de novice et la hache du bûcheron. Une tristesse affreuse le saisit qui ne venait pas seulement de la souffrance corporelle, de l’abandon, du péril de mort : une tristesse pareille à celle des âmes errantes aux plus basses sphères du Purgatoire, sur les confins mêmes de l’Enfer. Ce n’était pas le désespoir du damné, parce que cette douleur ressemblait au repentir et que le repentir contient l’espérance. Duccio, seul, délaissé, trahi, épuisé par la faim, perdant son sang, se retournait vers sa jeunesse, et, comparant ce qu’il était à ce qu’il aurait pu être, il avouait devant Dieu qu’il avait mérité son châtiment. Le regret des biens spirituels qu’il avait abandonnés ne prenait pas encore, sur ses lèvres, la forme de la prière. Il n’osait s’adresser à Dieu, directement, comme un fils ingrat au père offensé dont il attend le pardon ; mais la prière était dans le battement de son cœur, dans la fièvre de ses veines, dans la crispation de ses mains, dans le sanglot inarticulé de sa bouche. Autour de lui, la forêt devenait plus noire, et le vent qui se leva parut apporter toute une cohorte invisible de démons. Une clameur jaillit des arbres, des torrents, des grottes. Des mains griffues accrochèrent les vêtements de Duccio ; des ailes infectes le souffletèrent ; des serpents se nouèrent â ses pieds ; et le rire du Diable éclata, en longs échos, parmi le bruit des pierres qui roulaient au précipice. Mais Duccio, par un effort suprême, continua de monter, malgré les ongles qui le tiraient en arrière ; et, quand il ne put avancer davantage et qu’il se sentit défaillir, il appela, de toute sa force mourante :

« Ô mon saint père François, au secours ! »

L’emprise démoniaque cessa brusquement. Duccio mit le pied sur un terrain libre et vit les astres au-dessus de lui, dans le ciel obscur.

Alors, un vertige le prit. Il se laissa choir et perdit conscience.


VIII

Était-ce la mort ou le sommeil ? L’âme, presque détachée du corps, entendit ce que l’oreille ne percevait pas, le son léger d’une clochette. Duccio rouvrit les yeux. Il était couché sur un terrain dénudé, bosselé de monticules, que baignait, de toutes parts, le bleu céleste du matin. Dans l’herbe courte, étoilée de chardons sylvestres, un faucon sautelait et faisait tinter la clochette pendue à son col. Cet oiseau, loin de s’effrayer aux gestes de l’homme, vola vers lui et se posa sur sa manche avec tant de gentillesse que Duccio ne put se retenir de le saluer à la manière franciscaine :

« Ô mon frère le faucon, d’où viens-tu ? Qui t’envoie vers un pécheur misérable ?… »

L’oiseau battait des ailes, joyeusement, et, tout k coup, une voix s’éleva qui disait :

« Patience, patience, mon frère ! Voici de l’eau dans une écuelle et du pain qui n’a pas plus de sept jours. Bois et mange à ton désir, et louons Dieu ! »

Duccio répondit :

« Dieu soit loué ! »