Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/123

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« Sultane des fleurs, répondit Aben-Hamet, délices des yeux des hommes, ô esclave chrétienne, plus belle que les vierges de la Géorgie, tu l’as deviné ! je suis étranger dans cette ville : perdu au milieu de ces palais, je n’ai pu retrouver le kan des Maures. Que Mahomet touche ton cœur et récompense ton hospitalité ! »

« Les Maures sont renommés pour leur galanterie, reprit l’Espagnole avec le plus doux sourire, mais je ne suis ni sultane des fleurs, ni esclave, ni contente d’être recommandée à Mahomet. Suivez-moi, seigneur chevalier, je vais vous reconduire au kan des Maures. »

Elle marcha légèrement devant l’Abencerage, le mena jusqu’à la porte du kan, le lui montra de la main, passa derrière un palais, et disparut.

À quoi tient donc le repos de la vie ! La patrie n’occupe plus seule et tout entière l’âme d’Aben-Hamet : Grenade a cessé d’être pour lui déserte, abandonnée, veuve, solitaire ; elle est plus chère que jamais à son cœur, mais c’est un prestige nouveau qui embellit ses ruines ; au souvenir des aïeux se mêle à présent un autre charme. Aben-Hamet a découvert le cimetière où reposent les cendres des Abencerages ; mais en priant, mais en se prosternant, mais en versant des larmes filiales, il songe que la jeune Espagnole a passé quelquefois sur ces tombeaux, et il ne trouve plus ses ancêtres si malheureux.

C’est en vain qu’il ne veut s’occuper que de son pèlerinage au pays de ses pères ; c’est en vain qu’il parcourt les coteaux du Douro et du Xénil, pour y recueillir des plantes au lever de l’aurore : la fleur qu’il cherche maintenant, c’est la belle chrétienne. Que d’inutiles efforts il a déjà tentés pour retrouver le palais de son enchanteresse ! Que de fois il a essayé de repasser par les chemins que lui fit parcourir son divin guide ! Que de fois il a cru reconnaître le son de cette cloche, le chant de ce coq qu’il entendit près de la demeure de l’Espagnole ! Trompé par des bruits pareils, il court aussitôt de ce côté, et le palais magique ne s’offre point à ses regards ! Souvent encore le vêtement uniforme des femmes de Grenade lui donnait un moment d’espoir : de loin toutes les chrétiennes ressemblaient à la maîtresse de son cœur ; de près, pas une n’avait sa beauté ou sa grâce. Aben-Hamet avait enfin parcouru les églises pour découvrir l’étrangère ; il avait même pénétré jusqu’à la tombe de Ferdinand et d’Isabelle, mais c’était aussi le plus grand sacrifice qu’il eût jusque alors fait à l’amour.

Un jour il herborisait dans la vallée du Douro. Le coteau du midi soutenait sur sa pente fleurie les murailles de l’Alhambra et les jardins du Généralife ; la colline du nord était décorée par l’Albaïzyn, par de riants vergers et par des grottes qu’habitait un peuple nombreux. À