Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/129

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porte s’ouvrit et laissa voir tout à coup les réduits secrets de l’Alhambra.

Tous les charmes, tous les regrets de la patrie, mêlés aux prestiges de l’amour, saisirent le cœur du dernier Abencerage. Immobile et muet, il plongeait des regards étonnés dans cette habitation des Génies : il croyait être transporté à l’entrée d’un de ces palais dont on lit la description dans les contes arabes. De légères galeries, des canaux de marbre blanc bordés de citronniers et d’orangers en fleur, des fontaines, des cours solitaires, s’offraient de toutes parts aux yeux d’Aben-Hamet, et à travers les voûtes allongées des portiques il apercevait d’autres labyrinthes et de nouveaux enchantements. L’azur du plus beau ciel se montrait entre des colonnes qui soutenaient une chaîne d’arceaux gothiques. Les murs, chargés d’arabesques, imitaient à la vue ces étoffes de l’Orient que brode dans l’ennui du harem le caprice d’une femme esclave. Quelque chose de voluptueux, de religieux et de guerrier semblait respirer dans ce magique édifice, espèce de cloître de l’amour, retraite mystérieuse où les rois maures goûtaient tous les plaisirs et oubliaient tous les devoirs de la vie.

Après quelques instants de surprise et de silence, les deux amants entrèrent dans ce séjour de la puissance évanouie et des félicités passées. Ils firent d’abord le tour de la salle des Mésucar, au milieu du parfum des fleurs et de la fraîcheur des eaux. Ils pénétrèrent ensuite dans la cour des Lions. L’émotion d’Aben-Hamet augmentait à chaque pas. « Si tu ne remplissais mon âme de délices, dit-il à Blanca, avec quel chagrin me verrais-je obligé de te demander, à toi Espagnole, l’histoire de ces demeures ! Ah ! ces lieux sont faits pour servir de retraite au bonheur, et moi… ! »

Aben-Hamet aperçut le nom de Boabdil enchâssé dans des mosaïques. « Ô mon roi ! s’écria-t-il, qu’es-tu devenu ? Où te trouverai-je dans ton Alhambra désert ? » Et les larmes de la fidélité, de la loyauté et de l’honneur couvraient les yeux du jeune Maure. « Vos anciens maîtres dit Blanca, ou plutôt les rois de vos pères étaient des ingrats. — Qu’importe ? repartit l’Abencerage : ils ont été malheureux ! »

Comme il prononçait ces mots, Blanca le conduisit dans un cabinet qui semblait être le sanctuaire même du temple de l’Amour. Rien n’égalait l’élégance de cet asile : la voûte entière, peinte d’azur et d’or et composée d’arabesques découpées à jour, laissait passer la lumière comme à travers un tissu de fleurs. Une fontaine jaillissait au milieu de l’édifice, et ses eaux, retombant en rosée, étaient recueillies dans une conque d’albâtre. « Aben-Hamet, dit la fille du duc de Santa-Fé, regardez bien cette fontaine : elle reçut les têtes défigurées