Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/40

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Cheveux blanchis du vieux Chactas, quel fut votre étonnement lorsque la fille de Sachem prononça ces paroles ! « Beau prisonnier, j’ai follement cédé à ton désir ; mais où nous conduira cette passion ? Ma religion me sépare de toi pour toujours… Ô ma mère ! qu’as-tu fait ?… » Atala se tut tout à coup, et retint je ne sus quel fatal secret près d’échapper à ses lèvres. Ses paroles me plongèrent dans le désespoir. « Eh bien ! m’écriai-je, je serai aussi cruel que vous : je ne fuirai point. Vous me verrez dans le cadre de feu ; vous entendrez les gémissements de ma chair et vous serez pleine de joie. » Atala saisit mes mains entre les deux siennes. « Pauvre jeune idolâtre, s’écria-t-elle, tu me fais réellement pitié ! Tu veux donc que je pleure tout mon cœur ? Quel dommage que je ne puisse fuir avec toi ! Malheureux a été le ventre de ta mère, ô Atala ! Que ne te jettes-tu au crocodile de la fontaine ! »

« Dans ce moment même, les crocodiles, aux approches du coucher du soleil, commençaient à faire entendre leurs rugissements. Atala me dit : « Quittons ces lieux. » J’entraînai la fille de Simaghan aux pieds des coteaux qui formaient des golfes de verdure en avançant leurs promontoires dans la savane. Tout était calme et superbe au désert. La cigogne criait sur son nid ; les bois retentissaient du chant monotone des cailles, du sifflement des perruches, du mugissement des bisons et du hennissement des cavales siminoles.

« Notre promenade fut presque muette. Je marchais à côté d’Atala ; elle tenait le bout de la corde que je l’avais forcée de reprendre. Quelquefois nous versions des pleurs, quelquefois nous essayions de sourire. Un regard tantôt levé vers le ciel, tantôt attaché à la terre, une oreille attentive au chant de l’oiseau, un geste vers le soleil couchant, une main tendrement serrée, un sein tour à tour palpitant, tour à tour tranquille, les noms de Chactas et d’Atala doucement répétés par intervalle….. Ô première promenade de l’amour ! il faut que votre souvenir soit bien puissant, puisque après tant d’années d’infortune vous remuez encore le cœur du vieux Chactas !

« Qu’ils sont incompréhensibles les mortels agités par les passions ! Je venais d’abandonner le généreux Lopez, je venais de m’exposer à tous les dangers pour être libre : dans un instant le regard d’une femme avait changé mes goûts, mes résolutions, mes pensées ! Oubliant mon pays, ma mère, ma cabane et la mort affreuse qui m’attendait, j’étais devenu indifférent à tout ce qui n’était pas Atala. Sans force pour m’élever à la raison de l’homme, j’étais retombé tout à coup dans une espèce d’enfance ; et loin de pouvoir rien faire pour me