Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/568

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Du zéphyr, au matin, la voix fraîche et céleste,
Les chants perçants du coq ne réveilleront plus
Ces bergers endormis sous cette couche agreste.
Près de l’âtre brûlant une épouse modeste
N’apprête plus pour eux le champêtre repas ;
Jamais à leur retour ils ne verront, hélas !
D’enfants au doux parler une troupe légère,
Entourant leurs genoux et retardant leurs pas,
Se disputer l’amour et les baisers d’un père.
Souvent, ô laboureurs ! Cérès mûrit pour vous
Les flottantes moissons dans les champs qu’elle dore ;
Souvent avec fracas tombèrent sous vos coups
Les pins retentissants dans la forêt sonore.
En vain l’ambition, qu’enivrent ses désirs,
Méprise et vos travaux et vos simples loisirs :
Eh ! que sont les honneurs ? L’enfant de la victoire,
Le paisible mortel qui conduit un troupeau,
Meurent également ; et les pas de la gloire,
Comme ceux du plaisir, ne mènent qu’au tombeau.
Qu’importe que pour nous de vains panégyriques
D’une voix infidèle aient enflé les accents ?
Les bustes animés, les pompeux monuments,
Font-ils parler des morts les muettes reliques ?

Jetés loin des hasards qui forment la vertu,
Glacés par l’indigence aux jours qu’ils ont vécu,
Peut-être ici la mort enchaîne en son empire
De rustiques Newtons de la terre ignorés,
D’illustres inconnus dont les talents sacrés
Eussent charmé les dieux sur le luth qui respire :
Ainsi brille la perle au fond des vastes mers ;
Ainsi meurent aux champs des roses passagères
Qu’on ne voit point rougir, et qui, loin des bergères,
D’inutiles parfums embaument les déserts.

Là dorment dans l’oubli des poètes sans gloire,
Des orateurs sans voix, des héros sans victoire :
Que dis-je ? des Titus faits pour être adorés.
Mais si le sort voila tant de vertus sublimes,
Sous ces arbres en deuil combien aussi de crimes
Le silence et la mort n’ont-ils point dévorés !