Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lait, je sentais les passions s’apaiser dans mon sein et l’orage même du ciel semblait s’éloigner à sa voix. Les nuages furent bientôt assez dispersés pour nous permettre de quitter notre retraite. Nous sortîmes de la forêt, et nous commençâmes à gravir le revers d’une haute montagne. Le chien marchait devant nous en portant au bout d’un bâton la lanterne éteinte. Je tenais la main d’Atala, et nous suivions le missionnaire. Il se détournait souvent pour nous regarder, contemplant avec pitié nos malheurs et notre jeunesse. Un livre était suspendu à son cou ; il s’appuyait sur un bâton blanc. Sa taille était élevée, sa figure pâle et maigre, sa physionomie simple et sincère. Il n’avait pas les traits morts et effacés de l’homme né sans passions ; on voyait que ses jours avaient été mauvais, et les rides de son front montraient les belles cicatrices des passions guéries par la vertu et par l’amour de Dieu et des hommes. Quand il nous parlait debout et immobile, sa longue barbe, ses yeux modestement baissés, le son affectueux de sa voix, tout en lui avait quelque chose de calme et de sublime. Quiconque a vu, comme moi, le père Aubry cheminant seul avec son bâton et son bréviaire dans le désert, a une véritable idée du voyageur chrétien sur la terre.

« Après une demi-heure d’une marche dangereuse par les sentiers de la montagne, nous arrivâmes à la grotte du missionnaire. Nous y entrâmes à travers les lierres et les giraumonts humides, que la pluie avait abattus des rochers. Il n’y avait dans ce lieu qu’une natte de feuilles de papaya, une calebasse pour puiser de l’eau, quelques vases de bois, une bêche, un serpent familier et, sur une pierre qui servait de table, un crucifix et le livre des chrétiens.

« L’homme des anciens jours se hâta d’allumer du feu avec des lianes sèches ; il brisa du maïs entre deux pierres, et, en ayant fait un gâteau, il le mit cuire sous la cendre. Quand ce gâteau eut pris au feu une belle couleur dorée, il nous le servit tout brûlant, avec de la crème de noix dans un vase d’érable. Le soir ayant ramené la sérénité, le serviteur du grand Esprit nous proposa d’aller nous asseoir à l’entrée de la grotte. Nous le suivîmes dans ce lieu qui commandait une vue immense. Les restes de l’orage étaient jetés en désordre vers l’orient ; les feux de l’incendie allumé dans les forêts par la foudre brillaient encore dans le lointain ; au pied de la montagne, un bois de pins tout entier était renversé dans la vase, et le fleuve roulait pêle-mêle les argiles détrempées, les troncs des arbres, les corps des animaux et les poissons morts, dont on voyait le ventre argenté flotter à la surface des eaux.

« Ce fut au milieu de cette scène qu’Atala raconta notre histoire au