Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/122

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d’Athènes, de Memphis et de Carthage. Je voulais aussi accomplir le pèlerinage de Jérusalem :

(…) Qui devoto
Il gran Sepolcro adora, e scioglie il voto.

Il peut paraître étrange aujourd’hui de parler de vœux et de pèlerinages ; mais sur ce point je suis sans pudeur, et je me suis rangé depuis longtemps dans la classe des superstitieux et des faibles. Je serai peut-être le dernier Français sorti de mon pays pour voyager en Terre Sainte avec les idées, le but et les sentiments d’un ancien pèlerin ; mais si je n’ai point les vertus qui brillèrent jadis dans les sires de Coucy, de Nesles, de Chastillon, de Montfort, du moins la foi me reste : à cette marque je pourrais encore me faire reconnaître des antiques croisés.

" Et quant je voulus partir et me mettre à la voye, dit le sire de Joinville, je envoyé querir l’abbé de Cheminon, pour me reconcilier à lui. Et me bailla et ceignit mon escherpe, et me mit mon bourdon en la main. Et tantost je m’en pars de Jonville, sans ce que rentrasse oncques puis au chastel, jusques au retour du veage d’outre-mer. Et m’en allay premier à de saints veages, qui estoient illeques près… tout à pié deschaux, et en lange. Et ainsi que je allois de Bleicourt à Saint-Urban, qu’il me falloit passer auprès du chastel de Jonville, je n’osé oncques tourner la face devers-Jonville, de paour d’avoir trop grant regret, et que le cueur me attendrist. "

En quittant de nouveau ma patrie, le 13 juillet 1806, je ne craignis point de tourner la tête comme le sénéchal de Champagne : presque étranger dans mon pays, je n’abandonnais après moi ni château ni chaumière.

De Paris à Milan, je connaissais la route. A Milan, je pris le chemin de Venise : je vis partout, à peu près comme dans le Milanais, un marais fertile et monotone. Je m’arrêtai quelques instants aux monuments de Vérone, de Vicence et de Padoue. J’arrivai à Venise le 23 ; j’examinai pendant cinq jours les restes de sa grandeur passée : on me montra quelques bons tableaux du Tintoret, de Paul Véronèse et de son frère, du Bassan et du Titien. Je cherchai dans une église déserte le tombeau de ce dernier peintre, et j’eus quelque peine à le trouver : la même chose m’était arrivée à Rome pour le tombeau du Tasse. Après tout, les cendres d’un poète religieux et infortuné ne sont pas trop mal placées dans un ermitage : le chantre de la Jérusalem semble s’être réfugié dans cette sépulture ignorée, comme pour échapper aux persécutions des hommes ; il remplit le monde de sa