Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/136

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qu’il est, prononcé sur les lieux, à la vue d’un cyprès et des sommets du Taygète, me fit un plaisir que les poètes comprendront. J’avais une consolation en regardant les tombes des Turcs : elles me rappelaient que les barbares conquérants de la Grèce avaient aussi trouvé leur dernier jour dans cette terre ravagée par eux. Au reste, ces tombes étaient fort agréables : le laurier-rose y croissait au pied des cyprès, qui ressemblaient à de grands obélisques noirs ; des tourterelles blanches et des pigeons bleus voltigeaient et roucoulaient dans ces arbres ; l’herbe flottait autour de petites colonnes funèbres que surmontait un turban ; une fontaine bâtie par un chérif répandait son eau dans le chemin pour le voyageur : on se serait volontiers arrêté dans ce cimetière, où le laurier de la Grèce, dominé par les cyprès de l’Orient, semblait rappeler la mémoire des deux peuples dont la poussière reposait dans ce lieu.

De ce cimetière à Coron il y a près de deux heures de marche : nous cheminâmes à travers un bois continuel d’oliviers, planté de froment à demi moissonné. Le terrain, qui de loin paraît une plaine unie, est coupé par des ravines inégales et profondes. M. Vial, alors consul de France à Coron, me reçut avec cette hospitalité si remarquable dans les consuls du Levant. Je lui remis une des lettres de recommandation que M. de Talleyrand, sur la prière de M. d’Hauterive, m’avait poliment accordées pour les consuls français dans les Echelles.

M. Vial voulut bien me loger chez lui. Il renvoya mon janissaire de Modon et me donna un de ses propres janissaires pour traverser avec moi la Morée et me conduire à Athènes. Le capitan-pacha étant en guerre avec les Maniottes, je ne pouvais me rendre à Sparte par Calamate, que l’on prendra si l’on veut pour Calathion, Cardamyle ou Thalames, sur la côte de la Laconie, presque en face de Coron. Il fut donc résolu que je ferais un long détour ; que j’irais chercher le défilé des portes de Léondari, l’un des Hermaeum de la Messénie ; que je me rendrais à Tripolizza afin d’obtenir du pacha de la Morée le firman nécessaire pour passer l’isthme ; que je reviendrais de Tripolizza à Sparte, et que de Sparte je prendrais par la montagne le chemin d’Argos, de Mycènes et de Corinthe.

Coroné, ainsi que Messène et Mégalopolis, ne remonte pas à une grande antiquité, puisqu’elle fut fondée par Epaminondas sur les ruines de l’ancienne Epéa. Jusque ici on a pris Coron pour Coroné, d’après l’opinion de d’Anville. J’ai quelques doutes sur ce point : selon Pausanias, Coroné était située au bas du mont Témathia, vers l’embouchure du Pamisus : or, Coron est assez éloignée de ce fleuve. elle est bâtie sur une hauteur à peu près dans la position où le même Pausanias