Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/196

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emparé de mon janissaire et de Joseph, de sorte que je n’avais plus à m’occuper d’eux.

A deux heures on servit le dîner, qui consistait en des ragoûts de mouton et de poulets, moitié à la française, moitié à la turque. Le vin, rouge et fort comme nos vins du Rhône, était d’une bonne qualité. mais il me parut si amer qu’il me fut impossible de le boire. Dans presque tous les cantons de la Grèce on fait plus ou moins infuser des pommes de pin au fond des cuvées ; cela donne au vin cette saveur amère et aromatique à laquelle on a quelque peine à s’habituer 41. Si cette coutume remonte à l’antiquité, comme je le présume, elle expliquerait pourquoi la pomme de pin était consacrée à Bacchus. On apporta du miel du mont Hymette ; je lui trouvai un goût de drogue qui me déplut ; le miel de Chamouni me semble de beaucoup préférable. J’ai mangé depuis à Kircagach, près de Pergame, dans l’Anatolie, un miel plus agréable encore ; il est blanc comme le coton sur lequel les abeilles le recueillent, et il a la fermeté et la consistance de la pâte de guimauve. Mon hôte riait de la grimace que je faisais au vin et au miel de l’Attique ; il s’y était attendu. Comme il fallait bien que je fusse dédommagé par quelque chose, il me fit remarquer l’habillement de la femme qui nous servait : c’était absolument la draperie des anciennes Grecques, surtout dans les plis horizontaux et onduleux qui se formaient au-dessus du sein et venaient se joindre aux plis perpendiculaires qui marquaient le bord de la tunique. Le tissu grossier dont cette femme était vêtue contribuait encore à la ressemblance ; car, à en juger par la statuaire, les étoffes chez les anciens étaient plus épaisses que les nôtres. Il serait impossible, avec les mousselines et les soies des femmes modernes, de former les mouvements larges des draperies antiques : la gaze de Céos, et les autres voiles que les satiriques appelaient des nuages, n’étaient jamais imités par le ciseau.

Pendant notre dîner, nous reçûmes les compliments de ce qu’on appelle dans le Levant la nation : cette nation se compose des négociants français ou dépendant de la France qui habitent les différentes échelles. Il n’y a à Athènes qu’une ou deux maisons de cette espèce : elles font le commerce des huiles. M. Roque me fit l’honneur de me rendre visite : il avait une famille, et il m’invita à l’aller voir avec M. Fauvel ; puis il se mit à parler de la société d’Athènes : " Un étranger fixé depuis quelque temps à Athènes paraissait avoir senti ou