Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/197

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inspiré une passion qui faisait parler la ville… Il y avait des commérages vers la maison de Socrate, et l’on tenait des propos du côté des jardins de Phocion… L’archevêque d’Athènes n’était pas encore revenu de Constantinople. On ne savait pas si on obtiendrait justice du pacha de Négrepont, qui menaçait de lever une contribution à Athènes. Pour se mettre à l’abri d’un coup de main, on avait réparé le mur de clôture ; cependant on pouvait tout espérer du chef des eunuques noirs, propriétaire d’Athènes, qui certainement avait auprès de Sa Hautesse plus de crédit que le pacha. " (O Solon ! O Thémistocle ! Le chef des eunuques noirs propriétaire d’Athènes, et toutes les autres villes de la Grèce enviant cet insigne bonheur aux Athéniens !) " (…) Au reste, M. Fauvel avait bien fait de renvoyer le religieux italien qui demeurait dans la lanterne de Démosthène (un des plus jolis monuments d’Athènes), et d’appeler à sa place un capucin français.

" Celui-ci avait de bonnes mœurs, était affable, intelligent, et recevait très bien les étrangers qui, selon la coutume, allaient descendre au couvent français… " Tels étaient les propos et l’objet des conversations à Athènes : on voit que le monde y allait son train, et qu’un voyageur qui s’est bien monté la tête doit être un peu confondu quand il trouve en arrivant dans la rue des Trépieds les tracasseries de son village.

Deux voyageurs anglais venaient de quitter Athènes lorsque j’y arrivai : il y restait encore un peintre russe, qui vivait fort solitaire. Athènes est très fréquentée des amateurs de l’antiquité, parce qu’elle est sur le chemin de Constantinople et qu’on y arrive facilement par mer.

Vers les quatre heures du soir, la grande chaleur étant passée, M. Fauvel fit appeler son janissaire et le mien, et nous sortîmes précédés de nos gardes : le cœur me battait de joie, et j’étais honteux de me trouver si jeune. Mon guide me fit remarquer, presque à sa porte, les restes d’un temple antique. De là nous tournâmes à droite, et nous marchâmes par de petites rues fort peuplées. Nous passâmes au bazar, frais et bien approvisionné en viande, en gibier, en herbes et en fruits. Tout le monde saluait M. Fauvel, et chacun voulait savoir qui j’étais ; mais personne ne pouvait prononcer mon nom. C’était comme dans l’ancienne Athènes : Athenienses autem omnes, dit saint Luc, ad nihil aliud vacabant nisi aut dicere, aut audire aliquid novi ; quant aux Turcs, ils disaient : Fransouse ! Effendi ! et ils fumaient leurs pipes : c’était ce qu’ils avaient de mieux à faire. Les Grecs en nous voyant passer levaient leurs bras par-dessus leurs têtes et criaient : Kâlos ilthete, archondes ! Bate kala eis palaeo Athinan ! " Bienvenus, messieurs ! Bon voyage aux ruines d’Athènes ! " Et ils avaient l’air aussi