Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/208

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d’un rayon d’or, s’animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par la mobilité des ombres du relief ; au loin, la mer et le Pirée étaient tout blancs de lumière ; et la citadelle de Corinthe, renvoyant l’éclat du jour nouveau, brillait sur l’horizon du couchant comme un rocher de pourpre et de feu.

Du lieu où nous étions placés, nous aurions pu voir, dans les beaux jours d’Athènes, les flottes sortir du Pirée pour combattre l’ennemi ou pour se rendre aux fêtes de Délos ; nous aurions pu entendre éclater au théâtre de Bacchus les douleurs d’Oedipe, de Philoctète et d’Hécabe ; nous aurions pu ouïr les applaudissements des citoyens aux discours de Démosthène. Mais, hélas ! aucun son ne frappait notre oreille. A peine quelques cris échappés à une populace esclave sortaient par intervalles de ces murs qui retentirent si longtemps de la voix d’un peuple libre. Je me disais, pour me consoler, ce qu’il faut se dire sans cesse : Tout passe, tout finit dans ce monde. Où sont allés les génies divins qui élevèrent le temple sur les débris duquel j’étais assis ? Ce soleil, qui peut-être éclairait les derniers soupirs de la pauvre fille de Mégare, avait vu mourir la brillante Aspasie. Ce tableau de l’Attique, ce spectacle que je contemplais, avait été contemplé par des yeux fermés depuis deux mille ans. Je passerai à mon tour : d’autres hommes aussi fugitifs que moi viendront faire les mêmes réflexions sur les mêmes ruines. Notre vie et notre cœur sont entre les mains de Dieu : laissons-le donc disposer de l’une comme de l’autre.

Je pris en descendant de la citadelle un morceau de marbre du Parthénon ; j’avais aussi recueilli un fragment de la pierre du tombeau d’Agamemnon ; et depuis j’ai toujours dérobé quelque chose aux monuments sur lesquels j’ai passé. Ce ne sont pas d’aussi beaux souvenirs de mes voyages que ceux qu’ont emportés M. de Choiseul et lord Elgin, mais ils me suffisent. Je conserve aussi soigneusement de petites marques d’amitié que j’ai reçues de mes hôtes, entre autres un étui d’os que me donna le père Munoz à Jaffa. Quand je revois ces bagatelles, je me retrace sur-le-champ mes courses et mes aventures. Je me dis : " J’étais là, telle chose m’advint. " Ulysse retourna chez lui avec de grands coffres pleins des riches dons que lui avaient faits les Phéaciens ; je suis rentré dans mes foyers avec une douzaine de pierres de Sparte, d’Athènes, d’Argos, de Corinthe, trois ou quatre petites têtes en terre cuite que je tiens de M. Fauvel, des chapelets, une bouteille d’eau du Jourdain, une autre de la mer Morte, quelques roseaux du Nil, un martre de Carthage et un plâtre moulé de l’Alhambra. J’ai dépensé cinquante mille francs sur ma route et laissé en présent mon linge et mes armes. Pour peu que mon voyage se fût prolongé, je serais revenu