Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/252

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de guirlandes que soutiennent des têtes de bœuf et des aigles. Pergame était au-dessous de moi dans la direction du midi : elle ressemble à un camp de baraques rouges. Au couchant se déroule une grande plaine terminée par la mer ; au levant s’étend une autre plaine, bordée au loin par des montagnes ; au midi, et au pied de la ville, je voyais d’abord des cimetières plantés de cyprès ; puis une bande de terre cultivée en orge et en coton ; ensuite deux grands tumulus : après cela venait une lisière plantée d’arbres ; et enfin une longue et haute colline qui arrêtait l’œil. Je découvrais aussi au nord-est quelques-uns des replis du Sélinus et du Cétius, et à l’est l’amphithéâtre dans le creux d’un vallon. La ville, quand je descendis de la citadelle, m’offrit les restes d’un aqueduc et les débris du Lycée. Les savants du pays prétendent que la fameuse bibliothèque était renfermée dans ce dernier monument.

Mais si jamais description fut superflue, c’est celle que je viens de faire. Il n’y a guère plus de cinq à six mois que M. de Choiseul a publié la suite de son Voyage. Ce second volume, où l’on reconnaît les progrès d’un talent que le travail, le temps et le malheur ont perfectionné, donne les détails les plus exacts et les plus curieux sur les monuments de Pergame et sur l’histoire de ses princes. Je ne me permettrai donc qu’une réflexion. Ce nom des Attale, cher aux arts et aux lettres, semble avoir été fatal aux rois : Attale, troisième du nom, mourut presque fou, et légua ses meubles aux Romains : Populus romanus bonorum meorum haeres esto. Et ces républicains, qui regardaient apparemment les peuples comme des meubles, s’emparèrent du royaume d’Attale. On trouve un autre Attale, jouet d’Alaric, et dont le nom est devenu proverbial pour exprimer un fantôme de roi. Quand on ne sait pas porter la pourpre, il ne faut pas l’accepter : mieux vaut alors le sayon de poil de chèvre.

Nous sortîmes de Pergame le soir à sept heures, et, faisant route au nord, nous nous arrêtâmes à onze heures du soir pour coucher au milieu d’une plaine. Le 6, à quatre heures du matin, nous reprîmes notre chemin, et nous continuâmes de marcher dans la plaine, qui, aux arbres près, ressemble à la Lombardie. Je fus saisi d’un accès de sommeil si violent, qu’il me fut impossible de le vaincre, et je tombai par-dessus la tête de mon cheval. J’aurais dû me rompre le cou ; j’en fus quitte pour une légère contusion. Vers les sept heures, nous nous trouvâmes sur un sol inégal, formé par des monticules. Nous descendîmes ensuite dans un bassin charmant planté de mûriers, d’oliviers, de peupliers et de pins en parasol ( pinus pinea). En général, toute cette terre de l’Asie me parut fort supérieure à la terre de la Grèce.