Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/257

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Le 8, au lever du jour, nous quittâmes notre gîte, et nous commençâmes à gravir une région montueuse qui serait couverte d’une admirable forêt de chênes, de pins, de phyllyreas, d’andrachnés, de térébinthes, si les Turcs laissaient croître quelque chose ; mais ils mettent le feu aux jeunes plants et mutilent les gros arbres. Ce peuple détruit tout, c’est un véritable fléau 12. . Les villages dans ces montagnes sont pauvres, mais les troupeaux sont assez communs et très variés. Vous voyez dans la même cour des bœufs, des buffles, des moutons, des chèvres, des chevaux, des ânes, des mulets, mêlés à des poules, à des dindons, à des canards, à des oies. Quelques oiseaux sauvages, tels que les cigognes et les alouettes, vivent familièrement avec ces animaux domestiques ; au milieu de ces hôtes paisibles règne le chameau, le plus paisible de tous.

Nous vînmes dîner à Geujouck ; ensuite, continuant notre route, nous bûmes le café au haut de la montagne de Zebec ; nous couchâmes à Chia-Ouse. Tournefort et Spon nomment sur cette route un lieu appelé Courougonlgi.

Nous traversâmes le 9 des montagnes plus élevées que celles que nous avions passées la veille Wheler prétend qu’elles forment la chaîne du mont Timnus. Nous dînâmes à Manda-Fora. Spon et Tournefort écrivent Mandagoia. On y voit quelques colonnes antiques. C’est ordinairement la couchée ; mais nous passâmes outre, et nous nous arrêtâmes à neuf heures du soir au café d’Emir-Capi, maison isolée au milieu des bois. Nous avions fait une route de treize heures. Le maître du lieu venait d’expirer : il était étendu sur sa natte ; on l’en ôta bien vite pour me la donner : elle était encore tiède, et déjà tous les amis du mort avaient déserté la maison. Une espèce de valet qui restait seul m’assura bien que son maître n’était pas mort de maladie contagieuse : je fis donc déployer ma couverture sur la natte, je me couchai et m’endormis. D’autres dormiront à leur tour sur mon dernier lit, et ne penseront pas plus à moi que je ne pensais au Turc qui m’avait cédé sa place : " On jette un peu de terre sur la tête, et en voilà pour jamais 13. . "

Le 10, après six heures de marche, nous arrivâmes pour déjeuner au joli village de Souséverlé. C’est peut-être le Sousurluck de Thévenot, et très certainement c’est le Sousighirli de Spon et le Sousonghirli de Tournefort, c’est-à-dire le village des Buffles-d’Eau. Il est situé à la fin