Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/291

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toujours la robe et la contenance de pauvres pèlerins latins, mais nous étions armés sous nos habits.

Après avoir chevauché une heure sur un terrain inégal, nous arrivâmes à quelques masures placées au haut d’une éminence rocailleuse. Nous franchîmes un des ressauts de la plaine, et au bout d’une autre heure de marche nous parvînmes à la première ondulation des montagnes de Judée. Nous tournâmes par un ravin raboteux autour d’un monticule isolé et aride. Au sommet de ce tertre on entrevoyait un village en ruine et les pierres éparses d’un cimetière abandonné : ce village porte le nom du Latroun ou du Larron : c’est la patrie du criminel qui se repentit sur la croix, et qui fit faire au Christ son dernier acte de miséricorde. Trois milles plus loin nous entrâmes dans les montagnes. Nous suivions le lit desséché d’un torrent la lune, diminuée d’une moitié, éclairait à peine nos pas dans ces profondeurs ; les sangliers faisaient entendre autour de nous un cri singulièrement sauvage. Je compris à la désolation de ces bords comment la fille de Jephté voulait pleurer sur la montagne de Judée, et pourquoi les prophètes allaient gémir sur les hauts lieux. Quand le jour fut venu, nous nous trouvâmes au milieu d’un labyrinthe de montagnes de forme conique, à peu près semblables entre elles et enchaînées l’une à l’autre par la base. La roche qui formait le fond de ces montagnes perçoit la terre. Ses bandes ou ses corniches parallèles étaient disposées comme les gradins d’un amphithéâtre romain, ou comme ces murs en échelons avec lesquels on soutient les vignes dans les vallées de la Savoie 18. .

A chaque redan du rocher croissaient des touffes de chênes nains, des buis et des lauriers-roses. Dans le fond des ravins s’élevaient des oliviers, et quelquefois ces arbres formaient des bois entiers sur le flanc des montagnes. Nous entendîmes crier divers oiseaux, entre autres des geais. Parvenus au plus haut point de cette chaîne, nous découvrîmes derrière nous (au midi et à l’occident) la plaine de Saron jusqu’à Jaffa, et l’horizon de la mer jusqu’à Gaza ; devant nous (au nord et au levant) s’ouvrait le vallon de Saint-Jérémie, et dans la même direction, sur le haut d’un rocher, on apercevait au loin une vieille forteresse appelée le Château des Machabées. On croit que l’auteur des Lamentations vint au monde dans le village qui a retenu son nom au milieu de ces montagnes 19.  : il est certain que la tristesse de ces lieux semble respirer dans les cantiques du prophète des douleurs.

Cependant, en approchant de Saint-Jérémie, je fus un peu consolé