Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

villages, de troupeaux ; inculte, elle offre des herbages ou des forêts ; si elle est arrosée par un fleuve, ce fleuve a des replis ; les collines qui forment cette vallée ont elles-mêmes des sinuosités dont les perspectives attirent agréablement les regards.

Ici, rien de tout cela qu’on se figure deux longues chaînes de montagnes, courant parallèlement du septentrion au midi, sans détours, sans sinuosités. La chaîne du levant, appelée Montagne d’Arabie, est la plus élevée ; vue à la distance de huit à dix lieues, on dirait un grand mur perpendiculaire, tout à fait semblable au Jura par sa forme et par sa couleur azurée : on ne distingue pas un sommet, pas la moindre cime ; seulement on aperçoit çà et là de légères inflexions, comme si la main du peintre qui a tracé cette ligne horizontale sur le ciel eût tremblé dans quelques endroits 27. .

La chaîne du couchant appartient aux montagnes de Judée. Moins élevée et plus inégale que la chaîne de l’est, elle en diffère encore par sa nature : elle présente de grands monceaux de craie et de sable qui imitent la forme de faisceaux d’armes, de drapeaux ployés, ou de tentes d’un camp assis au bord d’une plaine. Du côté de l’Arabie, ce sont au contraire de noirs rochers à pic, qui répandent au loin leur ombre sur les eaux de la mer Morte. Le plus petit oiseau du ciel ne trouverait pas dans ces rochers un brin d’herbe pour se nourrir ; tout y annonce la patrie d’un peuple réprouvé ; tout semble y respirer l’horreur et l’inceste d’où sortirent Ammon et Moab.

La vallée comprise entre ces deux chaînes de montagnes offre un sol semblable au fond d’une mer depuis longtemps retirée ; des plages de sel, une vase desséchée, des sables mouvants et comme sillonnés par les flots. Çà et là des arbustes chétifs croissent péniblement sur cette terre privée de vie ; leurs feuilles sont couvertes du sel qui les a nourris, et leur écorce a le goût et l’odeur de la fumée. Au lieu de villages, on aperçoit les ruines de quelques tours. Au milieu de la vallée passe un fleuve décoloré ; il se traîne à regret vers le lac empesté qui l’engloutit. On ne distingue son cours au milieu de l’arène que par les saules et les roseaux qui le bordent : l’Arabe se cache dans ces roseaux pour attaquer le voyageur et dépouiller le pèlerin.

Tels sont ces lieux fameux par les bénédictions et par les malédictions du ciel. : ce fleuve est le Jourdain ; ce lac est la mer Morte ; elle paraît