Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/398

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qui se livre à l’aile droite. Soliman n’a pas pu se jeter sur l’aile gauche, quoiqu’elle soit plus près du désert, parce qu’il y a des ravines profondes de ce côté. Les Arabes, cachés pendant le jour dans la vallée de Térébinthe, en sont sortis avec les ombres pour tenter la délivrance de Solime.

Soliman, vaincu, prend seul le chemin de Gaza. Ismen le rencontre, et le fait monter sur un char qu’il environne d’un nuage. Ils traversent ensemble le camp des chrétiens et arrivent à la montagne de Solime. Cet épisode, admirable d’ailleurs, est conforme aux localités jusqu’à l’extérieur du château de David, près la porte de Jaffa ou de Bethléem ; mais il y a erreur dans le reste. Le poète a confondu ou s’est plu à confondre la tour de David avec la tour Antonia : celle-ci était bâtie loin de là, au bas de la ville, à l’angle septentrional du temple.

Quand on est sur les lieux, on croit voir les soldats de Godefroy partir de la porte d’Ephraïm, tourner à l’orient, descendre dans la vallée de Josaphat, et aller, comme de pieux et paisibles pèlerins, prier l’Eternel sur la montagne des Oliviers. Remarquons que cette procession chrétienne rappelle d’une manière sensible la pompe des Panathénées, conduite à Eleusis au milieu des soldats d’Alcibiade. Le Tasse, qui avait tout lu, qui imite sans cesse Virgile, Homère et les autres poètes de l’antiquité, a mis ici en beaux vers une des plus belles scènes de l’histoire. Ajoutons que cette procession est d’ailleurs un fait historique raconté par l’Anonyme, Robert moine, et Guillaume de Tyr.

Nous venons au premier assaut. Les machines sont plantées devant les murs du septentrion. Le Tasse est exact ici jusqu’au scrupule :

Non era il fosso di palustre limo
(Che nol consente il loco) o d’acqua molle.

C’est la pure vérité. Le fossé au septentrion est un fossé sec, ou plutôt une ravine naturelle, comme les autres fossés de la ville.

Dans les circonstances de ce premier assaut, le poète a suivi son génie sans s’appuyer sur l’histoire ; et comme il lui convenait de ne pas marcher aussi vite que le chroniqueur, il suppose que la principale machine fut brûlée par les infidèles et qu’il fallut recommencer le travail. Il est certain que les assiégés mirent le feu à une des tours des assiégeants. Le Tasse a étendu cet accident selon le besoin de sa fable.

Bientôt s’engage le terrible combat de Tancrède et de Clorinde, fiction la plus pathétique qui soit jamais sortie du cerveau d’un poète.