Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/402

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qui s’élançaient des machines et s’abattaient sur les remparts. Godefroy et Gaston de Foix avaient donné le plan de ces machines, construites par des matelots pisans et génois. Ainsi dans cet assaut, où le Tasse a déployé l’ardeur de son génie chevaleresque, tout est vrai, hors ce qui regarde Renaud : comme ce héros est de pure invention, ses actions doivent être imaginaires. Il n’y avait point de guerrier appelé Renaud d’Est au siège de Jérusalem ; le premier chrétien qui s’élança sur les murs ne fut point un chevalier du nom de Renaud, mais Létolde, gentilhomme flamand de la suite de Godefroy. Il fut suivi de Guicher et de Godefroy lui-même. La stance où le Tasse peint l’étendard de la croix ombrageant les tours de Jérusalem délivrée est sublime.

" L’étendard triomphant se déploie dans les airs ; les vents, respectueux, soufflent plus mollement ; le soleil, plus serein, le dore de ses rayons ; les traits et les flèches se détournent ou reculent à son aspect. Sion et la colline semblent s’incliner et lui offrir l’hommage de leur joie. "

Tous les historiens des croisades parlent de la piété de Godefroy, de la générosité de Tancrède, de la justice et de la prudence du comte de Saint-Gilles ; Anne Comnène elle-même fait l’éloge de ce dernier : le poète nous a donc peint les héros que nous connaissons. Quand il invente des caractères, il est du moins fidèle aux mœurs. Argant est le véritable mameluck :

L’altro è Circasso Argante, uom che straniero…
" L’autre, c’est Argant le Circassien : aventurier inconnu à la cour d’Égypte, il s’y est assis au rang des satrapes. Sa valeur l’a porté aux premiers honneurs de la guerre Impatient, inexorable, farouche, infatigable, invincible dans les combats, contempteur de tous les dieux, son épée est sa raison et sa loi. "

Soliman est un vrai sultan des premiers temps de l’empire turc. Le poète, qui ne néglige aucun souvenir, fait du sultan de Nicée un des ancêtres du grand Saladin ; et l’on voit qu’il a eu l’intention de peindre Saladin lui-même sous les traits de son aïeul. Si jamais l’ouvrage de dom Berthereau voyait le jour, on connaîtrait mieux les héros musulmans de La Jérusalem. Dom Berthereau avait traduit les auteurs arabes qui se sont occupés de l’histoire des croisés. Cette précieuse traduction devait faire partie de la collection des historiens de France.

Je ne saurais guère assigner le lieu où le féroce Argant est tué par le généreux Tancrède ; mais il le faut chercher dans les vallées, entre