Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/417

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" Je leur ai conseillé, comme vous, la résistance. Malheureusement ils ont connu trop tard tout l’intérêt que l’empereur prend à leur sort. Ils ont donc encore cédé en partie aux demandes d’Abdallah il faut espérer qu’ils auront plus de fermeté l’année prochaine. D’ailleurs, il m’a paru qu’ils n’avaient manqué cette année ni de prudence ni de courage.
" Vous trouverez, Monsieur, deux autres lettres jointes à la lettre de M. l’ambassadeur : l’une m’a été remise par M. Dubois, négociant ; je tiens l’autre du drogman de M. Vial, consul de France à Modon.
" J’ose prendre encore, Monsieur, la liberté de vous recommander M. D… que j’ai vu ici. On m’a dit qu’il était honnête homme, pauvre et malheureux : ce sont là trois grands titres à la protection de la France.
" Agréez, Monsieur, je vous prie, etc.
" F.-A. de Ch. "

Jean et Julien ayant porté nos bagages à bord, je m’embarquai le 16, à huit heures du soir. La mer était grosse et le vent peu favorable. Je restai Sur le pont aussi longtemps que je pus apercevoir les lumières de Jaffa. J’avoue que j’éprouvais un certain sentiment de plaisir, en pensant que je venais d’accomplir un pèlerinage que j’avais médité depuis si longtemps. J’espérais mettre bientôt fin à cette sainte aventure, dont la partie la plus hasardeuse me semblait achevée. Quand je songeais que j’avais traversé presque seul le continent et les mers de la Grèce ; que je me retrouvais encore seul, dans une petite barque, au fond de la Méditerranée, après avoir vu le Jourdain, la mer Morte et Jérusalem, je regardais mon retour pour l’Égypte, la Barbarie et l’Espagne, comme la chose du monde la plus facile : je me trompais pourtant.

Je me retirai dans la chambre du capitaine, lorsque nous eûmes perdu de vue les lumières de Jaffa, et que j’eus salué pour la dernière fois les rivages de la Terre Sainte ; mais le lendemain, à la pointe du jour, nous découvrîmes encore la côte en face de Gaza, car le capitaine avait fait route au midi. L’aurore nous amena une forte brise de l’orient, la mer devint belle, et nous mîmes le cap à l’ouest. Ainsi je suivais absolument le chemin qu’Ubalde et le Danois avaient parcouru pour aller délivrer Renaud. Mon bateau n’était guère plus grand que celui des deux chevaliers, et comme eux j’étais conduit par la Fortune. Ma navigation de Jaffa à Alexandrie ne dura que quatre jours, et jamais je n’ai fait sur les flots une course plus agréable et plus rapide. Le ciel fut constamment pur, le vent bon, la mer brillante. On ne changea pas une seule fois la voile. Cinq hommes composaient l’équipage de la saïque, y compris le capitaine ; gens moins gais que mes Grecs de l’île de Tino, mais en apparence plus habiles. Des vivres frais,