Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/429

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à ses caprices. Je n’ai jamais vu un spectacle plus hideux. Le père de cet enfant était à peine maître du Caire, et ne possédait ni la haute ni la basse Égypte. C’était dans cet état de choses que douze misérables sauvages nourrissaient des plus lâches flatteries un jeune barbare enfermé pour sa sûreté dans un donjon. Et voilà le maître que les Egyptiens attendaient après tant de malheurs !

On dégradait donc dans un coin de ce château l’âme d’un enfant qui devait conduire des hommes ; dans un autre coin on frappait une monnaie du plus bas aloi. Et afin que les habitants du Caire reçussent sans murmurer l’or altéré et le chef corrompu qu’on leur préparait, les canons étaient pointés sur la ville.

J’aimais mieux porter ma vue au dehors et admirer, du haut du château, le vaste tableau que présentaient au loin le Nil, les campagnes, le désert et les Pyramides. Nous avions l’air de toucher à ces dernières, quoique nous en fussions éloignés de quatre lieues. A l’œil nu, je voyais parfaitement les assises des pierres et la tête du sphinx qui sortait du sable ; avec une lunette je comptais les gradins des angles de la grande Pyramide et je distinguais les yeux, la bouche et les oreilles du sphinx, tant ces masses sont prodigieuses !

Memphis avait existé dans les plaines qui s’étendent de l’autre côté du Nil jusqu’au désert où s’élèvent les Pyramides.

" Ces plaines heureuses, qu’on dit être le séjour des justes morts, ne sont, à la lettre, que les belles campagnes qui sont aux environs du lac Achéruse, auprès de Memphis, et qui son partagées par des champs et par des étangs couverts de blés ou de lotos. Ce n’est pas sans fondement qu’on a dit que les morts habitent là ; car c’est là qu’on termine les funérailles de la plupart des Egyptiens, lorsque après avoir fait traverser le Nil et le lac d’Achéruse à leurs corps, on les dépose enfin dans les tombes qui sont arrangées sous terre en cette campagne. Les cérémonies qui se pratiquent encore aujourd’hui dans l’Égypte conviennent à tout ce que les Grecs disent de l’enfer, comme à la barque qui transporte les corps ; à la pièce de monnaie qu’il faut donner au nocher, nommé Charon en langue égyptienne ; au temple de la ténébreuse Hécate, placé à l’entrée de l’enfer ; aux portes du Cocyte et du Léthé, posées sur des gonds d’airain ; à d’autres portes, qui sont celles de la Vérité et de la Justice, qui est sans tête 9. . "

Le 2 nous allâmes à Djizé et à l’île de Rhoda. Nous examinâmes le nilomètre 10. , au milieu des ruines de la maison de Mourad-Bey. Nous nous étions ainsi beaucoup rapprochés des Pyramides. A cette distance