Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/469

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de saint Augustin, par les canons des conciles de Carthage et par les Actes des Martyrs, qu’il y avait à Carthage des amphithéâtres, des théâtres, des bains, des portiques. La ville ne fut jamais bien fortifiée, car Gordien le Vieux ne put s’y détendre ; et, longtemps après, Genseric et Bélisaire y entrèrent sans difficulté.

J’ai entre les mains plusieurs monnaies des rois vandales qui prouvent que les arts étaient tout à fait perdus sous le règne de ces rois : ainsi il n’est pas probable que Carthage ait reçu aucun embellissement de ses nouveaux maîtres. Nous savons au contraire que Genseric abattit les églises et les théâtres ; tous les monuments païens furent renversés par ses ordres : on cite entre autres le temple de Mémoire et la rue consacrée à la déesse Céleste. Cette rue était bordée de superbes édifices.

Justinien, après avoir arraché Carthage aux Vandales, y fit construire des portiques, des thermes, des églises et des monastères, comme on le voit dans le livre des Edifices de Procope. Cet historien parle encore d’une église bâtie par les Carthaginois, au bord de la mer, en l’honneur de saint Cyprien. Voilà ce que j’ai pu recueillir touchant les monuments d’une ville qui occupe un si haut rang dans l’histoire ; passons maintenant à ses débris.

Le vaisseau sur lequel j’étais parti d’Alexandrie étant arrivé au port de Tunis, nous jetâmes l’ancre en face des ruines de Carthage : je les regardais sans pouvoir deviner ce que c’était ; j’apercevais quelques cabanes de Maures, un ermitage musulman sur la pointe d’un cap avancé, des brebis paissant parmi des ruines ; ruines si peu apparentes, que je les distinguais à peine du sol qui les portait : c’était là Carthage :

Devictae Carthaginis arces
Procubuere ; jacent infausto in littore turres
Eversae. Quantum illa metus, quantum illa laborum
Urbs dedit insultans Latio et Laurentibus arvis !
Nunc passim vix relliquias, vix nomina servans,
Obruitur, propriis non agnoscenda ruinis.
" Les murs de Carthage vaincue et ses tours renversées gisent épars sur le rivage fatal. Quelle crainte cette ville n’a-t-elle pas jadis inspirée à Rome ! quels efforts ne nous a-t-elle pas coûtés lorsqu’elle nous insultait jusque dans le Latium et dans les champs de Laurente ! Maintenant on aperçoit à peine ses débris, elle conserve à peine son nom, et ne peut être reconnue à ses propres ruines. "

Pour se retrouver dans ces ruines, il est nécessaire de suivre une marche méthodique. Je suppose donc que le lecteur parte avec moi du