Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/476

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Qu’une honteuse paix suive une guerre affreuse !

Qu’au moment de régner, une mort malheureuse
L’enlève avant le temps ! Qu’il meure sans secours,
Et que son corps sanglant reste en proie aux vautours !
Voilà mon dernier vœu ! Du courroux qui m’enflamme
Ainsi le dernier cri s’exhale avec mon âme.
Et toi, mon peuple, et toi, prends son peuple en horreur !
Didon au lit de mort te lègue sa fureur !
En tribut à ta reine offre un sang qu’elle abhorre !
C’est ainsi que mon ombre exige qu’on l’honore.
Sors de ma cendre, sors, prends la flamme et le fer,
Toi qui dois me venger des enfants de Teucer !
Que le peuple latin, que les fils de Carthage,
Opposés par les lieux, le soient plus par leur rage !
Que de leurs ports jaloux, que de leurs murs rivaux,
Soldats contre soldats, vaisseaux contre vaisseaux,
Courent ensanglanter et la mer et la terre !
Qu’une haine éternelle éternise la guerre !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
A peine elle achevait, que du glaive cruel
Ses suivantes ont vu partir le coup mortel,
Ont vu sur le bûcher la reine défaillante,
Dans ses sanglantes mains l’épée encor fumante.


Du sommet de Byrsa l’œil embrasse les ruines de Carthage, qui sont plus nombreuses qu’on ne le pense généralement : elles ressemblent à celles de Sparte, n’ayant rien de bien conservé, mais occupant un espace considérable. Je les vis au mois de février ; les figuiers, les oliviers et les caroubiers donnaient déjà leurs premières feuilles ; de grandes angéliques et des acanthes formaient des touffes de verdure parmi les débris de marbre de toutes couleurs. Au loin je promenais mes regards sur l’isthme, sur une double mer, sur des îles lointaines, sur une campagne riante, sur des lacs bleuâtres, sur des montagnes azurées ; je découvrais des forêts, des vaisseaux, des aqueducs, des villages maures, des ermitages mahométans, des minarets et les maisons blanches de Tunis. Des millions de sansonnets, réunis en bataillons et ressemblant à des nuages, volaient au-dessus de ma tête. Environné des plus grands et des plus touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d’Asdrubal ; Je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d’Annibal, de Scipion et de César ; mes yeux voulaient reconnaître l’emplacement d’Utique : hélas ! les débris des palais de Tibère existent encore à Caprée, et l’on cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton ! Enfin, les terribles Vandales, les légers Maures passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m’offrait pour dernier tableau saint Louis expirant