Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/483

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monarque, le déclara son protecteur dans le ciel. Louis, placé au rang des saints, devint ainsi pour la patrie une espèce de roi éternel. On s’empressa de lui élever des églises et des chapelles plus magnifiques que les simples palais où il avait passé sa vie. Les vieux chevaliers qui l’accompagnèrent à sa première croisade furent les premiers à reconnaître la nouvelle puissance de leur chef : " Et j’ai fait faire, dit le sire de Joinville, un autel en l’honneur de Dieu et de monseigneur saint Loys. "

La mort de Louis, si touchante, si vertueuse, si tranquille, par où se termine l’histoire de Carthage, semble être un sacrifice de paix offert en expiation des fureurs, des passions et des crimes dont cette ville infortunée fut si longtemps le théâtre. Je n’ai plus rien à dire aux lecteurs ; il est temps qu’ils rentrent avec moi dans notre commune patrie.

Je quittai M. Devoise, qui m’avait si noblement donné l’hospitalité. Je m’embarquai sur le schooner américain où, comme je l’ai dit, M. Lear m’avait fait obtenir un passage. Nous appareillâmes de La Goulette le lundi 9 mars 1807, et nous fîmes voile pour l’Espagne. Nous primes les ordres d’une frégate américaine dans la rade d’Alger. Je ne descendis point à terre. Alger est bâti dans une position charmante, sur une côte qui rappelle la belle colline du Pausilype. Nous reconnûmes l’Espagne le 19 à sept heures du matin, vers le cap de Gatte, à la pointe du royaume de Grenade. Nous suivîmes le rivage, et nous passâmes devant Malaga. Enfin nous vînmes jeter l’ancre le vendredi saint 27 mars, dans la baie de Gibraltar.

Je descendis à Algésiras le lundi de Pâques. J’en partis le 4 avril pour Cadix, où j’arrivai deux jours après et où je fus reçu avec une extrême politesse par le consul et le vice-consul de France, MM. Leroi et Canclaux. De Cadix je me rendis à Cordoue : j’admirai la mosquée, qui fait aujourd’hui la cathédrale de cette ville. Je parcourus l’ancienne Bétique où les poètes avaient placé le bonheur. Je remontai jusqu’à Andujar, et je revins sur mes pas pour voir Grenade. L’Alhambra me parut digne d’être regardé, même après les temples de la Grèce. La vallée de Grenade est délicieuse, et ressemble beaucoup à celle de Sparte : on conçoit que les Maures regrettent un pareil pays.

Je partis de Grenade pour Aranjuès ; je traversai la patrie de l’illustre chevalier de la Manche, que je tiens pour le plus noble, le plus brave, le plus aimable et le moins fou des mortels. Je vis le Tage à Aranjuès, et j’arrivai le 21 à Madrid.

M. de Beauharnois, ambassadeur de France à la cour d’Espagne, me combla de bontés ; il avait connu autrefois mon malheureux frère,