Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/62

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Il faut dire plus : la Grèce libre, armée comme les peuples chrétiens, fortifiée, détendue par des ingénieurs et des artilleurs qu’elle emprunterait d’abord de ses voisins, destinée à devenir promptement, par son génie, une puissance navale, la Grèce, malgré son peu d’étendue, couvrirait mieux l’orient de l’Europe que la vaste Turquie, et formerait un contrepoids plus utile dans la balance des nations.

Enfin, la séparation de la Grèce de la Turquie ne détruirait pas ce dernier État, qui compterait toujours tant de provinces militaires européennes. On pourrait même soutenir que l’empire turc augmenterait de puissance en se resserrant, en devenant tout musulman, en perdant ces populations chrétiennes placées sur les frontières de la chrétienté, et qu’il est obligé de surveiller et de garder comme on surveille et comme on garde un ennemi. Les politiques de la Porte prétendent même que le gouvernement ottoman n’aura toute sa force que lorsqu’il sera rentré en Asie. Ils ont peut-être raison.

En dernier lieu, si le divan voulait traiter pour l’affranchissement de la Grèce, il serait possible que celle-ci consentît à payer une subvention plus ou moins considérable : tous les intérêts seraient ainsi ménagés.

Toutes choses pesées, le droit de souveraineté ne peut pas être vu du même œil sous la domination du Croissant que sous l’empire de la Croix.

La Grèce, déjà à moitié délivrée, déjà politiquement organisée, ayant des flottes, des armées, faisant respecter et reconnaître ses blocus, étant assez forte pour maintenir des traités, contractant des emprunts avec des étrangers, battant monnaie et promulguant des lois, est un gouvernement de fait ni plus ni moins que le gouvernement des Osmanlis : son droit politique à l’indépendance, quoique moins ancien, est de même nature que celui de la Turquie ; et la Grèce a de plus l’avantage de professer la religion, d’être régie par les principes qui régissent les autres peuples civilisés et chrétiens.

Si ces arguments ont quelque force, reste à examiner les dangers ou les frayeurs que ferait naître l’établissement d’un gouvernement populaire à l’orient de l’Europe.

Les Grecs, qu’aucune puissance n’a pu jusque ici secourir pour ne pas compromettre des intérêts plus immédiats, les Grecs, qui bâtiront leur liberté de leurs propres mains ou qui s’enseveliront sous ses débris, les Grecs ont incontestablement le droit de choisir la forme de leur existence politique. Il faudrait avoir partagé leurs périls pour se permettre de se mêler de leurs lois. Il y a trop d’équité, trop de connaissances, trop d’élévation de sentiments, trop de magnanimité