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natte, elle pleurait ; un Allouez de la garde du soleil se présente. « Guerrier, dit-il à Outougamiz, les sachems assemblés t’attendent. »

« Je te suis, » répondit Outougamiz. Mila et Céluta volent à leur mari et à leur frère. « Quand te reverrons-nous ? » dirent-elles en l’entourant de leurs bras.

« Les lierres, répondit Outougamiz, ne pressent que les vieux chênes : je suis trop jeune encore pour que vous vous attachiez à moi ; je ne vous pourrais soutenir. »

« Si je portais ton fils dans mon sein, dit Mila, me quitterais-tu ? Comment ferons-nous sans René et sans Outougamiz ? »

- « Tu es sage comme une vieille matrone, Mila, » repartit le sauvage.

« Ne te fie pas à mes cheveux blancs, dit Mila avec un sourire : c’est de la neige d’été sur la montagne ; elle fond au premier rayon du soleil. »

L’Allouez pressant Outougamiz de partir, Céluta s’écria : « Grand-Esprit ! fais qu’il nous rapporte le bonheur ! » prière qui n’arriva pas jusqu’au ciel. Les deux femmes restèrent sur le seuil de la cabane à écouter les pas d’Outougamiz, qui retentissaient dans la nuit. Quand elles n’entendirent plus rien, elles rentrèrent et pleurèrent jusqu’au lever du jour.

Arrivé à la grotte des sachems, Outougamiz apprit que le jongleur et Ondouré, avec leur suite et les présents, étaient déjà partis, et qu’il les devait rejoindre. Les vieillards exhortèrent le frère de Céluta à soutenir l’honneur et la liberté de sa patrie. Le même garde qui l’avait amené au conseil le conduisit dans la forêt où se croisaient divers chemins. Outougamiz marcha vers le nord ; il trouva le jongleur et Ondouré au lieu désigné : ce lieu était la fontaine même où Céluta avait rencontré son mari et son frère, lors de leur retour du pays des Illinois.

Sur la côte septentrionale du lac Supérieur s’élève une roche d’une hauteur prodigieuse ; sa cime porte une forêt de pins ; de cette forêt sort un torrent, qui se précipitant dans le lac ressemble à une zone blanche suspendue dans l’azur du ciel. Le lac s’étend comme une mer sans bornes ; l’île des Ames apparaît à peine à l’horizon. Sur les côtes du lac la nature se montre dans toute sa magnificence sauvage. Les Indiens racontent que ce fut du sommet de la Roche-Isolée que le Grand-Esprit examina la terre après l’avoir faite, et qu’en mémoire de cette merveille il voulut qu’une partie de cette terre restât visible du lieu d’où il avait contemplé la création au sortir de ses mains.

C’était à ce rocher, témoin des œuvres du Grand-Esprit, que toutes les nations indiennes se devaient réunir. Une flotte aussi nombreuse que singulière commençait à s’assembler au pied du rocher ; le canot pesant de l’Iroquois voguait auprès du canot léger du Huron ; la pirogue de l’Illinois, d’un seul tronc de chêne, flottait avec le radeau du Pannis ; la barque ronde du Poutoüais était soulevée par la vague qui ballottait l’outre de l’Esquimau.

Les députés des Natchez gravirent la roche sauvage ; de jeunes Indiens de toutes les tribus les accompagnèrent. Sur les deux rives du torrent, dans l’épaisseur du bois, ils construisirent en abattant des pins une salle dont les troncs des arbres renversés formaient les sièges. Au milieu de cet amphithéâtre ils allumèrent un immense bûcher.

Toutes les nations étant arrivées, elles montèrent au rocher du Grand-Esprit et vinrent occuper tour à tour l’enceinte préparée.

Les Iroquois parurent les premiers : nulle autre nation n’aurait osé passer avant eux. Ces guerriers avaient la tête rasée, à l’exception d’une touffe de cheveux qui composait avec des plumes de corbeau une espèce de diadème ; leur front était peint en rouge ; leurs sourcils étaient épilés : leurs longues oreilles découpées se rattachaient sur leur poitrine. Chargés d’armes européennes et sauvages, ils portaient une carabine en bandoulière, un poignard à la ceinture, un casse-tête à la main. Leur démarche était fière, leur regard intrépide : c’étaient les républicains de l’état de nature. Seuls de tous les sauvages, ils avaient résisté aux Européens et dompté les Indiens de l’Amérique septentrionale. Le Canada était leur pays. Ils entrèrent dans la salle du conseil en exécutant le pas d’une danse guerrière ; ils prirent à la droite du torrent la place la plus honorable.

Après eux parurent les Algonquins, reste d’une nation autrefois si puissante et qu’après trois siècles de guerre les Iroquois avaient presque exterminée. Leur langue, devenue la langue polie du désert, comme celle des Grecs et des Romains dans l’ancien monde, attestait leur grandeur passée. Ils n’avaient que deux jeunes hommes pour députés ; ceux-ci, d’une taille élevée, d’une contenance guerrière, ne portant ni ornements ni peintures, entrèrent simplement et sans danser dans l’enceinte. Ils passèrent devant les Iroquois, la tête haute, et se placèrent en silence sur la gauche du torrent, en face de leurs ennemis.

Les Hurons venaient les troisièmes : vifs, légers, braves, d’une figure sensible et animée, c’étaient les Français du Nouveau-Monde. De tout temps alliés d’Ononthio et ennemis des Iroquois, ils occupaient quelques bourgades autour de Québec. Ils se précipitèrent dans la salle du conseil, jetèrent en