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fond des bois avec son frère ne reparaît pas, et Ondouré, dont tous les moments sont comptés, est obligé de quitter la cabane.

Une femme, ou plutôt un spectre, s’avance vers lui : à peine eut-il quitté le toit souillé de sa présence, qu’il se trouve face à face d’Akansie.

— J’ai trop longtemps, dit la mère du jeune soleil, j’ai trop longtemps supporté mes tourments. Lorsque après avoir appris ta visite à ma rivale, je t’ai ordonné de comparaître devant moi, tu ne m’as pas obéi. Je te retrouve sortant encore de ce lieu, où tes pas et les miens sont enchaînés par Athaensic : misérable ! je ne t’adresse plus de reproches : l’amour s’éteint dans mon cœur ; tu es au-dessous du mépris ; mais j’ai des crimes à expier, une vengeance à satisfaire. Je t’en ai prévenu, je vais me dénoncer aux sachems et te dénoncer avec moi : tes complots, tes forfaits, les miens, vont être révélés ; justice sera faite pour tous. »

Ondouré fut d’autant plus effrayé de ces paroles, qu’à la lumière du jour naissant il n’aperçut point sur le visage d’Akansie cette langueur qui lui apprenait autrefois combien la femme jalouse était encore amante ; il n’y avait que sécheresse et désespoir dans l’expression des traits d’Akansie. Ondouré prend aussitôt son parti.

Non loin de la cabane de Céluta était un marais, repaire impur des serpents Ondouré affecte un violent repentir ; il feint d’adorer celle qu’il n’a jamais aimée ; il l’entoure de ses bras suppliants, la conjure de l’écouter Akansie se débat entre les bras du scélérat, l’accable de ces reproches que la passion trahie, que le mépris longtemps contenu, savent si bien trouver : « Si vous ne voulez pas m’entendre, s’écrie le tuteur du soleil, je vais me donner la mort. »

Akansie était bien criminelle, mais elle avait tant aimé ! il lui restait de cet amour une certaine complaisance involontaire ; elle se laisse entraîner vers le marais, prêtant l’oreille à des excuses qui ne la trompaient plus, mais qui la charmaient encore. Ondouré, toujours se justifiant, et toujours marchant avec sa victime, la conduit dans un lieu écarté. Il affecte le langage de la passion : que son amante offensée daigne seulement lui sourire, et il va passer à ses pieds une vie de reconnaissance et d’adoration ! Akansie sent expirer sa colère ; Ondouré, feignant un transport d’amour, se prosterne devant son idole.

Akansie se trouvait alors sur une étroite levée qui la séparait des eaux stagnantes, où une multitude de serpents à sonnettes se jouaient avec leurs petits aux derniers feux de l’automne. Ondouré embrasse les pieds d’Akansie, les attire à lui ; l’infortunée tombe en arrière et roule dans l’onde empoisonnée ; elle y plonge de tout son poids. Les reptiles, dont le venin augmente de subtilité quand ils ont une famille à défendre, font entendre le bruit de la mort ; s’élançant tous à la fois, ils frappent de leur tête aplatie et de leur dent creuse l’ennemie qui vient troubler leurs ébats maternels.

La joie du crime rayonna sur le front d’Ondouré. Akansie luttant contre un double trépas, au milieu des serpents et de l’onde, s’écriait : « Je l’ai bien mérité ! homme affreux ! couronne tes forfaits ; va immoler tes dernières victimes, mais sache que ton heure est aussi arrivée. »

« Eh bien ! répondit l’infâme, jetant le masque, oui, c’est moi qui te tue, parce que tu me voulais trahir. Meurs, tous mes forfaits sont les tiens. Je brave tes menaces ! désormais il n’est plus de rémission pour moi, mon dernier soupir sera pour un nouveau crime et pour un amour qui fait ton supplice. Tu n’auras pas la tête de Céluta, mais je lui prodiguerai les baisers que tu m’as permis de donner à cette tête charmante ! »

Ondouré, mugissant comme s’il eût déjà habité l’enfer, abandonne la femme qui lui avait fait tous les sacrifices.

Dieu fit sentir à l’instant même à ce réprouvé un avant-goût des vengeances éternelles. Quelques chasseurs se montrèrent sur la levée ; ils avaient reconnu le tuteur du soleil et s’avançaient rapidement vers lui. Akansie flottait encore sur les eaux ; il était impossible de la dérober à la vue des chasseurs ; ils allaient s’empresser de la secourir : ne pouvait-elle pas conserver assez de vie pour parler quand elle serait déposée sur le rivage ? L’effroi d’Ondouré glaça un moment son cœur, mais il revint bientôt à lui, et se montra digne de son crime. Le moyen de tromper qu’il prit n’était complètement sûr, mais il était le seul qui lui restât à prendre ; il l’aurait du moins opposé à une accusation d’assassinat. Ondouré appelle donc les guerriers avec tous les signes du plus violent désespoir : « A moi, s’écriait-il, aidez-moi à sauver la femme-chef, qui vient de tomber dans cet abîme ; » et feignant de secourir Akansie, il essayait de lui plonger la tête dans l’eau.

Les chasseurs se précipitent, écartent les serpents avec des branches de tamarin, et retirent du marais la mère du jeune soleil.

Elle ne donna dans le premier moment aucun signe de vie, mais bientôt quelques mouvements se manifestèrent, ses yeux s’ouvrirent, son regard fixe tomba sur Ondouré, qui recula de trois pas comme sous l’œil du Dieu vengeur.

Des cris étouffés, qui ressemblaient au râle de la mort, s’échappèrent peu à peu du sein d’Akansie. Elle s’agite et rampe sur la terre ; on eût dit des reptiles qui l’avaient frappée. Sa peau, par l’effet