Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Après ce pacte, les deux amis échangèrent
les manitous de l’amitié (page 23, col. 2).
Dans celle des hommes, il manque toujours quelque chose ; dans la tienne tout est surabondant. Le conseil, touché des paroles du missionnaire, croyait sentir les inspirations de la miséricorde de Dieu.

Le démon de l’or, envoyé par Satan, craignait l’effet du discours du père Souël, en voyant les âmes s’attendrir à la voix du juste. Cet esprit infernal, à la tête chauve, aux lèvres minces et serrées, au corps diaphane, au cœur sans pitié, à l’esprit toujours plein de nombres, au regard avide et inquiet, aux manières défiantes et cachées, cet esprit souffle sa concupiscence sur le conseil. Aussitôt les sentiments généreux s’éteignent. Robert, Salency, Artagnan, veulent répliquer au religieux : Fébriano obtient la parole.

Né parmi les Francs, sur les côtes de la Barbarie, cet aventurier, chrétien dans son enfance, ensuite parjure à l’Évangile, fut, dans l’ordre des seyahs, disciple zélé du Coran. Jeté en Europe par un coup de la fortune, entré dans la carrière des armes, trop noble pour lui, il est redevenu extérieurement chrétien ; mais il continue à détester les serviteurs du vrai Dieu, et à observer en secret les abominables lois du faux prophète. Chépar l’a rencontré dans les champs, et le traître, moitié moine, moitié soldat, a pris sur le loyal militaire l’ascendant que la bassesse exerce sur les caractères impérieux et la finesse sur les esprits bornés. Fébriano dispose presque toujours de la volonté de Chépar, qui croit suivre ses propres résolutions, lorsqu’il ne fait qu’obéir aux inspirations de Fébriano. Ce vagabond était, du reste, un de ces scélérats vulgaires, qui ne peuvent briller au rang des grands infâmes, et qui meurent oubliés dans la