Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/116

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avec une sonnette de rue en rue, avertissant les chrétiens de prier pour un de leurs frères décédé. Presque tous les ans, des vaisseaux se perdaient sous mes yeux, et, lorsque je m’ébattais le long des grèves, la mer roulait à mes pieds les cadavres d’hommes étrangers, expirés loin de leur patrie. Madame de Chateaubriand me disait, comme sainte Monique disait à son fils : Nihil longe est a Deo : « Rien n’est loin de Dieu » On avait confié mon éducation à la Providence : elle ne m’épargnait pas les leçons.

Voué à la Vierge, je connaissais et j’aimais ma protectrice que je confondais avec mon ange gardien : son image, qui avait coûté un demi-sou à la bonne Villeneuve, était attachée avec quatre épingles à la tête de mon lit. J’aurais dû vivre dans ces temps où l’on disait à Marie : « Doulce dame du ciel et de la terre, mère de pitié, fontaine de tous biens, qui portastes Jésus-Christ en vos prétieulx flancz, belle très-doulce Dame, je vous mercye et vous prye. »

La première chose que j’ai sue par cœur est un cantique de matelot commençant ainsi :


Je mets ma confiance,
Vierge, en votre secours ;
Servez-moi de défense,
Prenez soin de mes jours ;
Et quand ma dernière heure
Viendra finir mon sort,
Obtenez que je meure
De la plus sainte mort.


J’ai entendu depuis chanter ce cantique dans un naufrage. Je répète encore aujourd’hui ces méchantes