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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

charrue et la barque, à un jet de pierre l’une de l’autre, sillonnent la terre et l’eau. Le navigateur et le berger s’empruntent mutuellement leur langue : le matelot dit les vagues moutonnent, le pâtre dit des flottes de moutons. Des sables de diverses couleurs, des bancs variés de coquillages, des varechs, des franges d’une écume argentée, dessinent la lisière blonde ou verte des blés. Je ne sais plus dans quelle île de la Méditerranée j’ai vu un bas-relief représentant les Néréides attachant des festons au bas de la robe de Cérès[1].

Mais ce qu’il faut admirer en Bretagne, c’est la lune se levant sur la terre et se couchant sur la mer.

Établie par Dieu gouvernante de l’abîme, la lune a ses nuages, ses vapeurs, ses rayons, ses ombres portées comme le soleil ; mais comme lui elle ne se retire pas solitaire : un cortège d’étoiles l’accompagne. À mesure que sur mon rivage natal elle descend au bout du ciel, elle accroît son silence qu’elle communique à la mer ; bientôt elle tombe à l’horizon, l’intersecte, ne montre plus que la moitié de son front qui s’assoupit, s’incline et disparaît dans la molle in-

    riantes et solitaires. Les futaies à fond de bruyères et à cépées de houx, habitées par des sabotiers, des charbonniers et des verriers tenant du gentilhomme, du commerçant et du sauvage ; les landes nues, les plateaux pelés, les champs rougeâtres de sarrasin qui séparent ces vallons entre eux, en font mieux sentir la fraîcheur et l’agrément. Sur les côtes se succèdent des tours à fanaux, des clochers de la renaissance, des vigies, des ouvrages romains, des monuments druidiques, des ruines de châteaux : la mer borde le tout. »

  1. « J’ai vu dans l’île de Céos un bas-relief antique qui représentait les Néréides attachant des festons au bas de la robe de Cérès. » Manuscrit de 1834.