Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/143

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de passé. Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu’elle n’est qu’un reflet de notre mémoire.

J’allai passer le temps des vacances à Combourg. La vie de château aux environs de Paris ne peut donner une idée de la vie de château dans une province reculée.

La terre de Combourg n’avait pour tout domaine que des landes, quelques moulins et les deux forêts, Bourgouët et Tanoërn, dans un pays où le bois est presque sans valeur. Mais Combourg était riche en droits féodaux ; ces droits étaient de diverses sortes : les uns déterminaient certaines redevances pour certaines concessions, ou fixaient des usages nés de l’ancien ordre politique ; les autres ne semblaient avoir été dans l’origine que des divertissements.

Mon père avait fait revivre quelques-uns de ces derniers droits, afin de prévenir la prescription. Lorsque toute la famille était réunie, nous prenions part à ces amusements gothiques : les trois principaux étaient le Saut des poissonniers, la Quintaine, et une foire appelée l’Angevine. Des paysans en sabots et en braies, hommes d’une France qui n’est plus, regardaient ces jeux d’une France qui n’était plus. Il y avait prix pour le vainqueur, amende pour le vaincu.

La Quintaine conservait la tradition des tournois : elle avait sans doute quelque rapport avec l’ancien service militaire des fiefs. Elle est très bien décrite dans du Cange (voce Quintana)[1]. On devait payer les

  1. Le Manuscrit de 1826 renferme ici une courte description du jeu de la quintaine. « Tous les nouveaux mariés de l’année dans la mouvance de Combourg étaient obligés, au mois de mai, de venir rompre une lance de bois contre un poteau placé dans un chemin creux qui passait au haut du grand mail ; les jouteurs