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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

L’ordre était si sévère, le régent si près, l’arbre si haut ! Toutes les espérances se tournent vers moi ; je grimpais comme un chat. J’hésite, puis la gloire l’emporte : je me dépouille de mon habit, j’embrasse l’orme et je commence à monter. Le tronc était sans branches, excepté aux deux tiers de sa crue, où se formait une fourche dont une des pointes portait le nid.

Mes camarades, assemblés sous l’arbre, applaudissaient à mes efforts, me regardant, regardant l’endroit d’où pouvait venir le préfet, trépignant de joie dans l’espoir des œufs, mourant de peur dans l’attente du châtiment. J’aborde au nid ; la pie s’envole ; je ravis les œufs, je les mets dans ma chemise et redescends. Malheureusement, je me laisse glisser entre les tiges jumelles et j’y reste à califourchon. L’arbre étant élagué, je ne pouvais appuyer mes pieds ni à droite ni à gauche pour me soulever et reprendre le limbe extérieur ; je demeure suspendu en l’air à cinquante pieds.

Tout à coup un cri : « Voici le préfet ! » et je me vois incontinent abandonné de mes amis, comme c’est l’usage. Un seul, appelé Le Gobbien, essaya de me porter secours, et fut tôt obligé de renoncer à sa généreuse entreprise. Il n’y avait qu’un moyen de sortir de ma fâcheuse position, c’était de me suspendre en dehors par les mains à l’une des deux dents de la fourche, et de tâcher de saisir avec mes pieds le tronc de l’arbre au-dessous de sa bifurcation. J’exécutai cette manœuvre au péril de ma vie. Au milieu de mes tribulations, je n’avais pas lâché mon trésor ; j’aurais pourtant mieux fait de le jeter, comme depuis j’en ai