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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Un matin, j’étais très animé à une partie de barres dans la grande cour du collège ; on me vint dire qu’on me demandait. Je suivis le domestique à la porte extérieure. Je trouve un gros homme, rouge de visage, les manières brusques et impatientes, le ton farouche, ayant un bâton à la main, portant une perruque noire mal frisée, une soutane déchirée retroussée dans ses poches, des souliers poudreux, des bas percés au talon : « Petit polisson, me dit-il, n’êtes-vous pas le chevalier de Chateaubriand de Combourg ? — Oui, monsieur, répondis-je tout étourdi de l’apostrophe. — Et moi, reprit-il presque écumant, je suis le dernier aîné de votre famille, je suis l’abbé de Chateaubriand de la Guerrande[1] : regardez-moi bien. » Le fier abbé met la main dans le gousset d’une vieille culotte de panne, prend un écu de six francs moisi, enveloppé dans un papier crasseux, me le jette au nez et continue à pied son voyage, en marmottant ses matines d’un air furibond. J’ai su depuis que le prince de Condé avait fait offrir à ce hobereau-vicaire le préceptorat du duc de Bourbon. Le prêtre outrecuidé répondit que le prince, possesseur de la baronnie de Chateaubriand, devait savoir que les héritiers de cette baronnie pouvaient avoir des précepteurs, mais n’étaient les précepteurs de personne. Cette hauteur était le défaut de ma famille ; elle était odieuse

  1. Charles-Hilaire de Chateaubriand, né en 1708, successivement recteur de Saint-Germain-de-la-mer au diocèse de Saint-Brieuc, de Saint-Étienne de Rennes en 1748, de Bazouge-du-Désert en 1767, et de Toussaint de Rennes en 1770. Il résigna en 1776 et mourut au Val des Bretons en Pleine-Fougères, le 12 août 1782. (Pouillé de Rennes, iv, 120 ; v, 557, 655, 658 ; Paris-Jallobert, Bazouge, p.27, Pleine-Fougères, p. 15 et 55.)