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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’autel. Je ne parus plus le même à mes maîtres et à mes camarades ; je marchais d’un pas léger, la tête haute, l’air radieux, dans tout le triomphe du repentir.

Le lendemain, jeudi saint, je fus admis à cette cérémonie touchante et sublime dont j’ai vainement essayé de tracer le tableau dans le Génie du christianisme[1]. J’y aurais pu retrouver mes petites humiliations accoutumées : mon bouquet et mes habits étaient moins beaux que ceux de mes compagnons ; mais ce jour-là tout fut à Dieu et pour Dieu. Je sais parfaitement ce que c’est que la Foi : la présence réelle de la victime dans le saint sacrement de l’autel m’était aussi sensible que la présence de ma mère à mes côtés. Quand l’hostie fut déposée sur mes lèvres, je me sentis comme tout éclairé en dedans. Je tremblais de respect, et la seule chose matérielle qui m’occupât était la crainte de profaner le pain sacré.


Le pain que je vous propose
Sert aux anges d’aliment,
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.

(Racine.)

Je conçus encore le courage des martyrs ; j’aurais pu dans ce moment confesser le Christ sur le chevalet ou au milieu des lions.

J’aime à rappeler ces félicités qui précédèrent de peu d’instants dans mon âme les tribulations du monde. En comparant ces ardeurs aux transports que

  1. Génie du Christianisme, première partie, livre I, chapitre vii : De la Communion.