Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/180

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

elle fut mêlée à sa conspiration. Je n’avais encore vu la beauté qu’au milieu de ma famille ; je restai confondu en l’apercevant sur le visage d’une femme étrangère. Chaque pas dans la vie m’ouvrait une nouvelle perspective ; j’entendais la voix lointaine et séduisante des passions qui venaient à moi ; je me précipitais au-devant de ces sirènes, attiré par une harmonie inconnue. Il se trouva que, comme le grand-prêtre d’Éleusis, j’avais des encens divers pour chaque divinité. Mais les hymnes que je chantais, en brûlant ces encens, pouvaient-ils s’appeler baumes[1], ainsi que les poésies de l’hiérophante ?


Après le mariage de Julie, je partis pour Brest. En quittant le grand collège de Rennes, je ne sentis point le regret que j’éprouvai en sortant du petit collège de Dol ; peut-être n’avais-je plus cette innocence qui nous fait un charme de tout ; le temps commençait à la déclore. J’eus pour mentor dans ma nouvelle position un de mes oncles maternels, le comte Ravenel de Boisteilleul, chef d’escadre[2], dont

  1. Allusion au titre des hymnes mystiques d’Orphée qui s’appelaient parfums (Thymiamata). (Comte de Marcellus, Chateaubriand et son temps, p. 17.)
  2. Ravenel du Boisteilleul (Jean-Baptiste-Joseph-Eugène de), fils de messire Théodore-François de Ravenel, seigneur du Boisteilleul, du Boisfaroye, etc., et de dame Angélique-Julie de Broise, né à Amanlis (diocèse de Rennes) le 13 septembre 1738, décédé à Rennes le 20 juin 1815. Il fut promu capitaine de vaisseau le 13 mars 1779. L’année suivante, dans un combat près le Cap Français (capitale de l’île Saint-Domingue) contre la frégate anglaise l’Unicorn, il réussit à s’emparer de ce bâtiment. Il se retira du service, pour cause de santé, non avec le grade de chef d’escadre, mais avec celui de capitaine de vaisseau, brigadier