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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

celle de Constantinople ; mais il eut un concurrent redoutable, Mirabeau, à qui cette ambassade fut promise pour prix de sa réunion au parti de la cour[1]. Mon frère avait donc à peu près quitté Combourg au moment où je vins l’habiter.

Cantonné dans sa seigneurie, mon père n’en sortait plus, pas même pendant la tenue des États. Ma mère allait tous les ans passer six semaines à Saint-Malo, au temps de Pâques ; elle attendait ce moment comme celui de sa délivrance, car elle détestait Combourg. Un mois avant ce voyage, on en parlait comme d’une entreprise hasardeuse ; on faisait des préparatifs ; on laissait reposer les chevaux. La veille du départ, on se couchait à sept heures du soir, pour se lever à deux heures du matin. Ma mère, à sa grande satisfaction, se mettait en route à trois heures, et employait toute la journée pour faire douze lieues.

Lucile, reçue chanoinesse au chapitre de l’Argentière, devait passer dans celui de Remiremont : en attendant ce changement, elle restait ensevelie à la campagne.

Pour moi, je déclarai, après mon escapade de Brest, ma volonté d’embrasser l’état ecclésiastique : la vérité est que je ne cherchais qu’à gagner du temps, car j’ignorais ce que je voulais. On m’envoya au collège de Dinan achever mes humanités. Je savais mieux le

  1. Mirabeau écrivait à son ami Mauvillon, le 3 décembre 1789 : « Ce qu’on vous avait dit relativement au Bosphore (c’est-à-dire à l’ambassade de Constantinople) a été vrai, et beaucoup d’autres choses plus belles encore ; mais tout cela n’était qu’un honorable exil, et c’est ici que je suis nécessaire, si je suis nécessaire à quelque chose. » — Voir les Mirabeau, par Louis de Loménie, tome V, page 31.