Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/236

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sa mémoire[1]. Afin de tout concilier, je me suis éloigné ; j’ai accepté l’ambassade de Berlin[2].

J’étais hier à Potsdam, caserne ornée, aujourd’hui sans soldats : j’étudiais le faux Julien dans sa fausse Athènes. On m’a montré à Sans-Souci la table où un grand monarque allemand mettait en petits vers français les maximes encyclopédiques ; la chambre de Voltaire, décorée de singes et de perroquets de bois, le moulin que se fit un jeu de respecter celui qui ravageait des provinces, le tombeau du cheval César et des levrettes Diane, Amourette, Biche, Superbe et Pax. Le royal impie se plut à profaner même la religion des tombeaux en élevant des mausolées à ses chiens ; il avait marqué sa sépulture auprès d’eux, moins par mépris des hommes que par ostentation du néant.

On m’a conduit au nouveau palais, déjà tombant. On respecte dans l’ancien château de Potsdam les taches de tabac, les fauteuils déchirés et souillés, enfin toutes les traces de la malpropreté du prince renégat. Ces lieux immortalisent à la fois la saleté du cynique, l’impudence de l’athée, la tyrannie du despote et la gloire du soldat.

Une seule chose a attiré mon attention : l’aiguille d’une pendule fixée sur la minute où Frédéric expira ;

    tains articles de ce recueil, l’abbé de La Mennais, le vicomte de Bonald, Fiévée, Berryer fils, Eugène Genoude, le vicomte de Castelbajac, le marquis d’Herbouville, M. Agier, le cardinal de La Luzerne, le duc de Fitz-James, etc. Le Conservateur cessa de paraître le 29 mars 1820, à la suite du rétablissement de la censure.

  1. Les Mémoires sur la vie et la mort de Mgr le duc de Berry avaient paru dès le mois d’avril 1820.
  2. Chateaubriand fut nommé, par Ordonnance du 28 novembre 1820, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la cour de Prusse.