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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

avions rencontré dans votre jeunesse ! » Cette obligeante prétention n’est que l’illusion d’une renommée déjà faite. Les hommes se ressemblent à l’extérieur ; en vain Rousseau nous dit qu’il possédait deux petits yeux tout charmants : il n’en est pas moins certain, témoin ses portraits, qu’il avait l’air d’un maître d’école ou d’un cordonnier grognon.

Pour en finir avec la cour, je dirai qu’après avoir revu la Bretagne et m’être venu fixer à Paris avec mes sœurs cadettes, Lucile et Julie, je m’enfonçai plus que jamais dans mes habitudes solitaires. On me demandera ce que devint l’histoire de ma présentation. Elle resta là. — Vous ne chassâtes donc plus avec le roi ? — Pas plus qu’avec l’empereur de la Chine. — Vous ne retournâtes donc plus à Versailles ? — J’allai deux fois jusqu’à Sèvres ; le cœur me faillit, et je revins à Paris. — Vous ne tirâtes donc aucun parti de votre position ? — Aucun. — Que faisiez-vous donc ? — Je m’ennuyais. — Ainsi, vous ne vous sentiez aucune ambition ? — Si fait : à force d’intrigues et de soucis, j’arrivai à la gloire d’insérer dans l’Almanach des Muses une idylle dont l’apparition me pensa tuer d’espérance et de crainte[1]. J’aurais donné tous les carrosses du roi pour avoir composé la romance : Ô ma tendre musette ! ou : De mon berger volage.

Propre à tout pour les autres, bon à rien pour moi : me voilà.




  1. Cette idylle figure, dans l’Almanach des Muses de 1790, à la page 205, sous ce titre : L’Amour de la campagne, et avec cette signature : par le chevalier de C***. Chateaubriand lui a donné place dans ses Œuvres complètes, tome XXI, p. 321.