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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

je reculai. Jamais le meurtre ne sera à mes yeux un objet d’admiration et un argument de liberté ; je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste. N’ai-je pas rencontré en France toute cette race de Brutus au service de César et de sa police ? Les niveleurs, régénérateurs, égorgeurs, étaient transformés en valets, espions, sycophantes, et moins naturellement encore en ducs, comtes et barons : quel moyen âge !

Enfin, ce qui m’attacha davantage à l’illustre vieillard, ce fut sa prédilection pour ma sœur : malgré la timidité de la comtesse Lucile, on parvint, à l’aide d’un peu de vin de Champagne, à lui faire jouer un rôle dans une petite pièce, à l’occasion de la fête de M. de Malesherbes ; elle se montra si touchante que le bon et grand homme en avait la tête tournée. Il poussait plus que mon frère même à sa translation du chapitre d’Argentière à celui de Remiremont, où l’on exigeait les preuves rigoureuses et difficiles des seize quartiers. Tout philosophe qu’il était, M. de Malesherbes avait à un haut degré les principes de la naissance[1].

Il faut étendre dans l’espace d’environ deux années cette peinture des hommes et de la société à mon apparition dans le monde, entre la clôture de la première assemblée des Notables, le 25 mai 1787, et l’ouverture des états généraux, le 5 mai 1789. Pen-

  1. Dans l’Essai sur les Révolutions, sous l’impression encore récente du supplice de Malesherbes et de presque tous les siens, Chateaubriand avait tracé du défenseur de Louis XVI un éloquent et admirable portrait, que ne fait point pâlir celui des Mémoires. On trouvera ce premier portrait de Malesherbes à l’Appendice, No VIII : M. de Malesherbes.