Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/306

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
240
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et elles attribuent à ces assemblées ainsi composées la même force législative. Dans les diverses provinces, souvent le tiers, tout convoqué qu’il était, ne députait pas, et cela par une raison inaperçue, mais fort naturelle. Le tiers s’était emparé de la magistrature, il en avait chassé les gens d’épée ; il y régnait d’une manière absolue, excepté dans quelques parlements nobles, comme juge, avocat, procureur, greffier, clerc, etc. ; il faisait les lois civiles et criminelles, et, à l’aide de l’usurpation parlementaire, il exerçait même le pouvoir politique. La fortune, l’honneur et la vie des citoyens relevaient de lui : tout obéissait à ses arrêts, toute tête tombait sous le glaive de ses justices. Quand donc il jouissait isolément d’une puissance sans bornes, qu’avait-il besoin d’aller chercher une faible portion de cette puissance dans des assemblées où il n’avait paru qu’à genoux ?

Le peuple, métamorphosé en moine, s’était réfugié dans les cloîtres, et gouvernait la société par l’opinion religieuse ; le peuple, métamorphosé en collecteur et en banquier, s’était réfugié dans la finance, et gouvernait la société par l’argent ; le peuple, métamorphosé en magistrat, s’était réfugié dans les tribunaux, et gouvernait la société par la loi. Ce grand royaume de France, aristocrate dans ses parties ou ses provinces, était démocrate dans son ensemble, sous la direction de son roi, avec lequel il s’entendait à merveille et marchait presque toujours d’accord. C’est ce qui explique sa longue existence. Il y a toute une nouvelle histoire de France à faire, ou plutôt l’histoire de France n’est pas faite.

Toutes les grandes questions mentionnées ci-dessus