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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Malheureusement, on jouait trop. Les bals ne discontinuaient. Les Bretons sont remarquables par leurs danses et par les airs de ces danses. Madame de Sévigné a peint nos ripailles politiques au milieu des landes, comme ces festins des fées et des sorciers qui avaient lieu la nuit sur les bruyères :

« Vous aurez maintenant, écrit-elle, des nouvelles de nos états pour votre peine d’être Bretonne. M. de Chaulnes arriva dimanche au soir, au bruit de tout ce qui peut en faire à Vitré : le lundi matin il m’écrivit une lettre ; j’y fis réponse par aller dîner avec lui. On mange à deux tables dans le même lieu ; il y a quatorze couverts à chaque table ; Monsieur en tient une, et Madame l’autre. La bonne chère est excessive, on remporte les plats de rôti tout entiers ; et pour les pyramides de fruits, il faut faire hausser les portes. Nos pères ne prévoyaient pas ces sortes de machines, puisque même ils ne comprenaient pas qu’il fallût qu’une porte fût plus haute qu’eux… Après le dîner, MM. de Lomaria et Coëtlogon dansèrent avec deux Bretonnes des passe-pieds merveilleux et des menuets, d’un air que les courtisans n’ont pas à beaucoup près : ils y font des pas de Bohémiens et de Bas-Bretons avec une délicatesse et une justesse qui charment… C’est un jeu, une chère, une liberté jour et nuit qui attirent tout le monde. Je n’avais jamais vu les états ; c’est une assez belle chose. Je ne crois pas qu’il y ait une province rassemblée qui ait aussi grand air que celle-ci ; elle doit être bien pleine, du moins, car il n’y en a pas un seul à la guerre ni à la cour ; il n’y a que le petit guidon (M. de Sévigné le fils) qui