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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Les esprits étaient alors agités par diverses causes : l’assemblée des Notables, l’impôt territorial, le commerce des grains, la tenue prochaine des états généraux et l’affaire du collier, la Cour plénière et le Mariage de Figaro, les grands bailliages et Cagliostro et Mesmer, mille autres incidents graves ou futiles, étaient l’objet des controverses dans toutes les familles.

La noblesse bretonne, de sa propre autorité, s’était convoquée à Rennes pour protester contre l’établissement de la Cour plénière. Je me rendis à cette diète : c’est la première réunion politique où je me sois trouvé de ma vie. J’étais étourdi et amusé des cris que j’entendais. On montait sur les tables et sur les fauteuils ; on gesticulait, on parlait tous à la fois. Le marquis de Trémargat, Jambe de bois[1], disait d’une voix de stentor : « Allons tous chez le commandant, M. de Thiard ; nous lui dirons : La noblesse bretonne est à votre porte ; elle demande à vous parler : le roi même ne la refuserait pas ! » À ce trait d’élo-

  1. Louis-Anne-Pierre Geslin, comte (et non marquis) de Trémargat, né à Bain-de-Bretagne le 24 décembre 1749. Fils d’un président au Parlement de Bretagne, il avait servi dans la marine et était devenu lieutenant de vaisseau et chevalier de Saint-Louis. En 1776, il avait épousé Anne-Françoise de Caradenc de Launay, parente du célèbre procureur général et veuve de M. de Quénétain. Un fils lui naquit à Rennes, le 18 janvier 1785, pendant la tenue des États. On lit, à cette occasion, dans la Gazette de France du 4 février 1785 : « On mande de Rennes que la comtesse de Trémargat, épouse du comte de Trémargat, Jambe-de-bois, président de l’ordre de la noblesse, étant accouchée d’un fils, les États ont arrêté de donner à cet enfant le nom de Bretagne et d’envoyer à la comtesse de Montmorin (femme du Commandant de la province) une députation pour la prier de le présenter au baptême. » — Le comte de Trémargat émigra à Jersey, où il perdit sa femme le 25 novembre 1790. Nous ignorons le lieu et la date de sa mort.